Assassinat de Joseph Rendjambé Issani, le souvenir de Fabien Méré*. . Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Le 23 Mai 2019, Fabien Méré aujourd’hui disparu, livrait son souvenir sur l’assassinat de Joseph Renjambé Issani le 23 mai 1990 à l’hotel Dowé à Libreville. Jospeh Rendjambé né en 1937 était un homme politique gabonais majeur. Son assassinat avait entrainé des manifestations à Libreville et Port-Gentil qui avaient failli entrainer la chute du régime Bongo en 1990. L’enquête n’a jamais aboutie.
C’est jeudi. 23 mai 1990/JOSEPH RÉNDJAMBÉ. Dring dring dring...j’ouvre péniblement un oeil, Je regarde mon (...)
C’est jeudi.
23 mai 1990/JOSEPH RÉNDJAMBÉ.
Dring dring dring...j’ouvre péniblement un oeil, Je regarde mon réveil posé sur ma table de travail dans l’axe de mon regard,il est un peu plus de 6h30 du matin, ce mercredi du mois de mai de l’année 1990, le 23 précisément.
Un jour qui se présentait comme un autre. Il ne le sera pas.
Je décroche le combiné du téléphone fixe(personne n’imaginait l’arrivée des portables ) posé sur la tablette de chevet.
-Allo ?
– Me Méré, ils ont tué Monsieur Réndjambé !!!
– Nooon ! Comment ça ? Où ça ? Quand ?
– Cette nuit à l’hôtel Dowé ...
Au bout du fil, Madame Malouta en pleurs (paix à son âme ), la secrétaire de l’Étude Agondjo et Pouzère où je terminais mon stage d’Avocat.
Ni une ni deux, j’enfile un pantalon, un tee-shirt et des mocassins. Je passe rapidement par la douche et me retrouve au volant de mon véhicule. Un Toyota Starlet qui aura une place et une histoire dans les événements dits de 90 et.
Parti de l’appartement que j’occupais au quartier Glass, mitoyen de la Gaboprix, en face du restaurant Le crabe farci, juste après la station d’essence.
Je roule presque à tombeau ouvert, direction le centre ville . Mille questions me traversent l’esprit à la même vitesse qu’affiche le compteur de mon véhicule. Ligne droite.Bord de mer. Pharmacie de Glass ; La Caisse ; Rénovation ; La Poste ; "Feu rouge" de la Présidence ; "Feu rouge de l’Immaculée", Codev !
Il y a déjà foule sur la voie publique.
Je prends la petite bretelle qui monte vers l’église Sainte Marie non sans difficulté. Je gare ma voiture là haut.
Je dévale la petite colline à la quatre-six et me retrouve coincé à l’arrière de cette foule de plus en plus compacte.
-Laissez moi passer ! Laissez moi passer !
– Laissez passer. C’est Maître Méré !
Quelqu’un m’a reconnu. C’est vrai que j’ai déjà quelques faits d’armes dans mon escarcelle tant sur le plan professionnel que dans le champ de l’engagement politique, et notamment à travers la déclamation du discours du PARI écrit par mon ami et frère Anaclé Bissiélo avec le concours des autres membres de ce courant politique du PGP à l’occasion de la Conférence nationale retransmise en direct sur l’unique chaine de télévision, la RTG. Conférence nationale interrompue par Omar Bongo qui estimait que ça durait trop.
Je me fraye un passage avec beaucoup de difficultés jusqu’à l’entrée de l’hôtel. Là, deux ou trois policiers font les vigiles et empêchent la foule d’accéder à l’intérieur de l’édifice. Perturbés par les "bonjour Me Méré ! Laisser passer l’avocat !" de la foule, les agents me laissent accéder à l’intérieur de l’édifice sans autre forme de procès. L’hôtel est vide. Aucun personnel au hall d’entrée ! Ni à la réception. Personne dans les étages auxquels j’accède par les escaliers que je monte quatre par quatre.
Des voix dans le couloir. Je me rapproche. Une porte ouverte. Stupeur ! Un corps étendu sur le dos, les bras quasiment en croix. La tête repose sur son côté droit . Un liquide verdâtre a coulé de sa bouche et forme une auréole de quelques centimètres de diamètre sur la moquette.
Ma vision se brouille. J’ai du sel dans les yeux mais je ne pleure pas ! Sonné, je suis. Je vascille à la vue de la scène, mais je reste debout.
Je redresse mon regard. Pas de Bonjour. Je dévisage en quelques fractions de secondes les personnes présentes dans la chambre. Il y a là le Docteur Ndèlia( représentant visiblement la famille), Christian Adhiayeno le préfet de police et le Docteur Ekagba représentants eux la police judiciaire...Qui d’autre ? J’ai des doutes sur l’identité d’une ou deux autres personnes. Nkombé Carnot ? Je ne m’en souviens plus.
Le trio évoqué ci dessus discute dans un espèce d’aparté. L’âge et les fonctions, séance tenante, nous séparent quelque peu. (J’échangerai plus tard avec mon aîné le Docteur Ndèlia.) Sur l’instant, je retiens toutefois que l’on attend Maître Agondjo qui a pris le premier vol d’Air Gabon au départ de Port Gentil.
J’enregistre immédiatement dans ma mémoire quelques images qui ne me quitteront plus.
Le lit dans la chambre est au carré, même pas une empreinte d’assise sur les draps. Un plateau de service posé sur une tablette ; une bouteille de champagne non ouverte et deux verres non utilisés. Au sol sur le côté, une paire de chaussures homme posée avec délicatesse.
Joseph lui, est entièrement vêtu. Il porte même ses chaussettes si ma mémoire ne me fait pas défaut.
Je note cependant qu’il a la chemise relevée jusqu’au torse et porte, dessinée sur le bas du ventre côté droit, une marque en forme de petit cercle blanc. Au centre de celui ci, la trace bien visible d’une injection identifiée par les deux médecins présents, et qui fait l’objet à voix plus ou moins basse de leurs échanges pendant une bonne partie du temps que nous allons passer ensemble dans cet espace clos, coupé du monde, en attendant l’arrivée de Maître Agondjo, le chef de famille.
Accrochée à la serrure extérieure de la porte de la chambre, une étiquette, "Don’t disturb" (ne pas déranger).
Une chambre totalement "aseptisée". Surréaliste ! Un corps manifestement déposé. Aucune trace de violence. La chaise est bien rangée sous le bureau. Les oreillers bien en place. La porte de la salle d’eau est ouverte. Visiblement elle n’a pas été utilisée. Joseph est là au milieu de cette chambre, inerte.
Jusqu’à la destruction de l’hôtel, la chambre aura gardé son lourd secret.
Quelques jours auparavant, nous venions de faire une tournée dans l’Ogooue Maritime avec Joseph comme chef de délégation pour promouvoir le PGP, annoncer le retour au multipartisme aux populations, et les convaincre de ne plus avoir peur de "parler de politique".
À Gamba, pour la petite histoire, face à la menace de la gendarmerie, le propriétaire de la boîte de nuit locale qui au départ, avait accepté de nous louer son matériel sonore, va se rétracter. Qu’à cela ne tienne ! Joseph et sa voix de stentor (voix de bronze, aussi forte que celle de cinquante hommes réunis), au grand dam des hommes en tenues, va ameuter les populations environnantes et les abreuver de son discours "souverainiste".
Le PGP ! AH Le PGP ! Quelle aventure. Quel rêve !
Je revois Guy Nang-bekale à la manoeuvre...Mouity Nzamba, le grand Nan’n Nguéma, Aganga Akèlaguèlo, Jeanne Thérèse et tant d’autres ...Souvenir.
Après l’escapade de Gamba, le lundi 22 mai nous avions rejoint Libreville via Omboué à bord d’un avion de la compagnie nationale. Dans l’après midi, j’étais passé voir Joseph à son bureau à la SONADIG en compagnie d’Anaclé pour solliciter l’utilisation de quelques chaises à récupérer à son domicile sis entre la Peyrie et STFO.
C’était la dernière fois que j’entendais sa voix. Il n’y a jamais eu d’enquête. On connaît la suite.
Autant en emporte la parole libre.🙏
AUX MARTYRS DU GABON
N’Odih Bongué-Boma
8 h ·
Merci Issani Rendjambe.
*Avocat et homme politique, Fabien Méré était une figure majeure de l’opposition gabonaise pendant trois décennies.
Exilé en France à partir de 2016, il est décédé à Paris le 27 Janvier 2021 à 62 ans.