Deuxième chronique du règne du roi Brice 1er. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Dans un style percutant et satirique, Janis Otsiemi brosse le tableau implacable d’un pouvoir militaire qui, au lieu de restaurer, reconduit les logiques anciennes sous une rhétorique de rupture. Une lecture utile pour comprendre les ambiguïtés de la transition gabonaise. Un texte désormais sous pression.
Il faut être naïf pour croire qu’un coup d’État suffit à réconcilier un peuple avec lui-même. C’est peut-être le grand fil conducteur de la nouvelle chronique politique de Janis Otsiemi. (…)
Il faut être naïf pour croire qu’un coup d’État suffit à réconcilier un peuple avec lui-même. C’est peut-être le grand fil conducteur de la nouvelle chronique politique de Janis Otsiemi. Sous la plume de l’écrivain gabonais, reconnu pour son style tranchant et ses polars urbains, cette fresque d’un royaume fictif – mais ô combien réaliste – devient un miroir tendu à la société gabonaise contemporaine. Son titre ? Deuxième chronique
du règne du roi Brice 1er.
Derrière les apparats monarchiques et la mécanique bien huilée du récit, c’est tout un système que l’auteur met à nu : celui d’un pouvoir qui, malgré ses promesses de transition, finit par reproduire ce qu’il prétendait abolir. La figure centrale du récit, un militaire devenu chef d’État, incarne cette dérive. Charismatique, autoritaire, parfois même brutal, il avance masqué sous les oripeaux de la légitimité populaire.
Une satire politique lucide
Ce qui frappe dès les premières pages, c’est l’efficacité du ton. Otsiemi mêle habilement ironie, critique sociale et observation politique. Les titres à rallonge du souverain – *Président de la Transition, Chef des armées, Président d’honneur des associations Ntsoumou et Ossimane, Général du mapane* (p. 7) – ne sont pas de simples traits d’humour : ils soulignent le danger d’une accumulation de pouvoir sans contre-pouvoir.
Le roi, dans ses tournées, distribue argent, faveurs et galons. La pratique du clientélisme devient presque rituelle. « Notre Majesté tenta de donner l’image d’un homme généreux en distribuant des billets de banque » (p. 13), écrit Otsiemi, qui dépeint sans détour les effets pervers de cette générosité intéressée. La contestation monte, mais le roi répond par des discours paternalistes, des intimidations, et une mise en scène permanente de son autorité.
Une transition qui s’auto-dévore
La chronique montre, semaine après semaine, la manière dont les promesses de réforme sont dévorées par les réalités de la conservation du pouvoir. Répression, désignation d’ennemis, dérives populistes, chasse aux sorcières, communication saturée. « Le nouveau monde devint un mort-né » (p. 30), constate l’auteur. Et cette phrase résonne désormais comme une sentence.
Même les adversaires politiques sont mis en scène, intégrés, recyclés ou écartés. Les candidatures les plus sérieuses sont invalidées. Les figures gênantes sont persécutées, comme le ministre déchu Opiangah ou encore l’opposant Bilie By Nze, objet d’une répression rampante. Otsiemi résume le cynisme ambiant : « Les cimetières de la Transition étaient remplis des morts » (p. 43).
Quand la fiction dérange trop la réalité
Ce qui relevait jusqu’ici de la satire littéraire vient de franchir un seuil : la censure. Ce 25 avril 2025, Janis Otsiemi a annoncé sur sa page Facebook :
« Sous pression des autorités militaires, la Maison de la presse a retiré mon livre de la vente au public. Il en est de même des vendeurs de la gare routière. Il fallait bien s’y attendre. On va se battre autrement. »
Ce court message, sobre et digne, confirme que la fiction a touché juste. Le pouvoir n’a pas supporté le miroir tendu. En tentant de le briser, il confirme la justesse du regard porté.
Littérature de veille, parole d’alerte
Ce que démontre Otsiemi, c’est qu’aucune transition ne tient sans éthique. Sans justice. Sans rupture réelle avec les pratiques de domination et de prédation. Ce texte est une alarme posée dans la nuit. Un acte de résistance par les mots. Un livre qu’on retire des rayons, mais qu’on ne pourra pas effacer des mémoires.
La littérature devient ici veilleuse. Et Janis Otsiemi, un écrivain qui paie aujourd’hui le prix de sa lucidité. Il mérite notre solidarité.