
Procès de Sylvia Bongo : quand le Gabon rejoue les procès de Moscou. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Arrestations arbitraires, aveux extorqués, justice instrumentalisée : ce qui se joue aujourd’hui autour de Sylvia Bongo n’a plus rien d’un procès. C’est une mise en scène politique. Une pièce écrite d’avance, où la culpabilité n’attend plus la preuve, et où la peur remplace le droit.
L’histoire est connue. Dans les années 1930, Joseph Staline fit juger publiquement d’anciens compagnons de Lénine. Ces “procès de Moscou”, prétendument juridiques, furent en réalité des démonstrations de force, destinées à anéantir toute opposition et à réécrire la vérité selon la volonté du chef.
Les accusés – tous déjà condamnés dans l’esprit du régime – avouaient tout, même l’invraisemblable. La salle d’audience servait de scène, la sentence d’avertissement.
Ce que vit aujourd’hui Sylvia Bongo Ondimba, ex-Première dame du Gabon, porte la même marque : celle du procès politique.
Ce que vit aujourd’hui Sylvia Bongo Ondimba, ex-Première dame du Gabon, porte la même marque : celle du procès politique.
Les chefs d’accusation évoluent au gré des communiqués, les avocats sont écartés, la défense muselée. Tout se joue dans le brouillard des procédures, entre isolement et pressions.
La justice n’est plus une institution : c’est un instrument.
Et le scénario est écrit d’avance, par ceux qui ont pris le pouvoir le 30 août 2023.
Une culpabilité décrétée sous la “Cinquième République”
Depuis l’élection du 12 avril 2025, qui a vu le général Brice Clotaire Oligui Nguema “élu” à la tête de la Cinquième République gabonaise avec un score stalinien, le pouvoir militaire s’est offert une légitimité constitutionnelle de façade.
Cette “nouvelle République”, censée incarner la refondation, repose en réalité sur les mêmes mécanismes d’intimidation : la peur, la soumission, le silence.
Dans ce contexte, le procès de Sylvia Bongo n’est pas une affaire judiciaire, mais un rituel politique, un acte de purification publique censé effacer le passé pour sacraliser le présent.
Sous la Cinquième République gabonaise, la culpabilité est décrétée avant d’être démontrée.
Le procès n’a pas pour but de dire le droit, mais de désigner un coupable symbolique, une offrande sacrificielle à ce régime prédateur.
Sylvia Bongo est devenue la figure expiatoire d’un système honni : on la juge non pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle représente.
Punir pour régner
Et ceux qui se réjouissent de ce spectacle d’humiliation devraient se souvenir que les régimes fondés sur l’arbitraire finissent toujours par dévorer leurs propres fidèles.
Aujourd’hui Sylvia ; demain, peut-être d’autres figures tombées en disgrâce.
L’arbitraire, une fois installé, ne s’arrête jamais où il commence.
Les procès staliniens visaient à intimider la société entière.
Ceux de la Cinquième République gabonaise poursuivent le même objectif : faire régner la peur sous couvert de moralisation.
Ce procès s’adresse moins à Sylvia Bongo qu’au pays tout entier :
“Regardez ce qu’il advient de ceux qui détenaient le pouvoir hier. Tremblez, obéissez.”
Le message est clair : le pouvoir militaire ne juge pas, il torture et parfois tue.
Et ceux qui se réjouissent de ce spectacle d’humiliation devraient se souvenir que les régimes fondés sur l’arbitraire finissent toujours par dévorer leurs propres fidèles.
Aujourd’hui Sylvia ; demain, peut-être d’autres figures tombées en disgrâce.
L’arbitraire, une fois installé, ne s’arrête jamais où il commence.
Un procès pour effacer la loi
Dans les procès de Moscou, Staline avait vidé la Constitution soviétique de toute substance.
Au Gabon, la Cinquième République s’en inspire : on piétine la Constitution au nom de sa restauration, on parle d’État de droit pendant qu’on viole ses fondements.
Dans les procès de Moscou, Staline avait vidé la Constitution soviétique de toute substance.
Au Gabon, la Cinquième République s’en inspire : on piétine la Constitution au nom de sa restauration, on parle d’État de droit pendant qu’on viole ses fondements.
Pourtant, la constitution gabonaise est claire :
• Article 11. « Toutes formes de tortures, de peines ou traitements cruels, inhumains on dégradants sont interdites ».
• Article 12. « Nul ne peut être humilié, maltraité, torturé, ni faire l’objet de traitements inhumains ou dégradants, ou de peines cruelles, même lorsqu’il est en état d’arrestation ou d’emprisonnement.
• Article 16. "Nul ne peut être arbitrairement détenu".
Nul ne peut être gardé à vue ou placé sous mandat de dépôt s’il présente des garanties suffisantes de représentation, sous réserve des nécessités de sécurité et de procédure.
Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite d’un procès régulier, offrant les garanties indispensables à sa défense.
La détention préventive ne doit pas excéder le temps prévu par la loi.
Les droits de la défense, dans le cadre de tout procès, sont garantis à tous.
Ces principes n’ont pas disparu. Ils ont été piétinés.
La détention de Sylvia Bongo, son isolement prolongé, la privation de ses droits fondamentaux, tout cela illustre le divorce complet entre le discours de légalité et la pratique du pouvoir.
Sous couvert de la justice, c’est la continuité de l’arbitraire qui s’installe.
Le miroir du pouvoir
Les procès staliniens, en prétendant défendre la révolution, ont révélé la dérive totalitaire du régime soviétique.
Le procès de Sylvia Bongo, lui, met à nu la nature du pouvoir gabonais sous Oligui Nguema :
un régime militaire dissimulé sous les atours d’une République prétendument nouvelle, gouvernant par la peur, l’humiliation et la mise en scène punitive.
La justice d’exception, qu’elle soit soviétique ou gabonaise, ne cherche pas la vérité : elle cherche à faire croire.
La justice d’exception, qu’elle soit soviétique ou gabonaise, ne cherche pas la vérité : elle cherche à faire croire.
Elle se nourrit de symboles, de rituels, d’aveux espérés ou forcés, d’exemples qu’on exhibe.
Et chaque fois, elle détruit la confiance du peuple dans la loi.
Car un pays où la justice devient spectacle n’est plus un État de droit, c’est un théâtre politique.
Entre la loi et la barbarie, il faut choisir
On ne construit pas une République sur la vengeance.
On ne guérit pas un pays de ses dérives passées en infligeant à d’autres l’injustice qu’on prétend combattre.
Aujourd’hui, Sylvia Bongo subit ce que la Constitution interdit : l’humiliation, l’isolement, la détention arbitraire.
Demain, d’autres suivront.
Et ceux qui applaudissent aujourd’hui risquent de découvrir, à leur tour, la cruauté d’une justice sans loi.
Et ceux qui applaudissent aujourd’hui risquent de découvrir, à leur tour, la cruauté d’une justice sans loi.
L’histoire, elle, n’oublie jamais :
Ce 10 novembre 2025 va donc s’ouvrir près d’un siècle plus tard – et dans la moiteur africaine - un autre procès de Moscou après que Sylvia Bongo et son fils Nourreddin aient eux aussi connu les affres d’une Loubianka de la jungle…
Les procès de Moscou ont tous eu leur fin. Les bourreaux ont vieilli, les victimes ont été réhabilitées, et l’Histoire a lavé les insultes du présent. Ce jour viendra aussi pour le Gabon. Quand la vérité reviendra à la lumière, on se souviendra qu’en 2025, le Gabon a préféré la peur à la loi, le mensonge à la vérité, la vengeance à la justice.
Et l’on écrira alors, comme on le fit jadis pour les victimes des purges soviétiques : « ici, la République Gabonaise s’est perdue ».