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Ali Bongo, Rocky et Sylvester Stallone : l’histoire méconnue d’une bande originale
Publié le : 24 octobre 2025 à 18h57min | Mis à jour : il y a 1 semaine
Ali Bongo, Rocky et Sylvester Stallone : l’histoire méconnue d’une bande originale. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Ali Bongo, Rocky et Sylvester Stallone : l’histoire méconnue d’une bande originale. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Avant d’être chef d’État, Ali Bongo Ondimba fut un musicien passionné.
En 1977, sous le nom d’Alain Bongo, il enregistre A Brand New Man, un album funk aux influences américaines, où il reprend le mythique Gonna Fly Now du film Rocky.
Un disque rare, aujourd’hui redécouvert comme un témoin précieux de l’âge d’or du funk africain.


La fin des années 1970 est une période d’explosion musicale à travers le monde.
Le funk et la soul dominent les ondes. James Brown, Stevie Wonder et Earth, Wind & Fire imposent un nouveau langage sonore, mêlant puissance rythmique et conscience noire.
En Afrique, cette vague résonne fortement. Les artistes du continent y voient une esthétique de fierté, d’émancipation et de modernité. Au Gabon, un jeune musicien de vingt ans, Alain Bongo s’empare de cette énergie. Fils du président Omar Bongo, il n’en est pas moins un mélomane passionné, formé entre Libreville, Paris et les États-Unis. Son objectif est clair : créer un album capable de rivaliser avec les standards internationaux, tout en exprimant l’élégance et la vitalité d’une jeunesse africaine en plein éveil culturel.

Un vinyle au croisement des mondes

Son album, A Brand New Man, paraît en 1977 sous le prestigieux label United Artists Records, déjà connu pour la bande originale du film Rocky.
C’est un disque audacieux, à la croisée de la soul, du funk et du disco, enregistré entre Paris, Londres et Los Angeles.
La production, soignée, témoigne d’une véritable ambition artistique.

Parmi les titres, une reprise attire immédiatement l’attention : “Gonna Fly Now (Theme from Rocky)”, la chanson culte composée par Bill Conti pour le film de Sylvester Stallone.
Dans le film, ce thème symbolise la lutte, la persévérance et la victoire sur soi.
Sous la voix d’Alain Bongo, il change de dimension.

“Gonna Fly Now” version africaine

Loin du ton martial et orchestral de la version américaine, Alain Bongo en propose une interprétation plus chaloupée, plus sensuelle.
Les cuivres deviennent funk, la batterie se fait souple, les chœurs gagnent en chaleur.
L’esprit du morceau demeure, mais son énergie se transforme : à la rigueur du sport répond la fluidité du groove.

Plutôt que de copier l’original, Alain Bongo en offre une traduction musicale, fidèle à l’esprit du funk africain : appropriation, transformation, réinvention.

Cette réinvention est typique du dialogue culturel des années 1970.
Plutôt que de copier l’original, Alain Bongo en offre une traduction musicale, fidèle à l’esprit du funk africain : appropriation, transformation, réinvention.
Le message du film américain — “voler maintenant, se dépasser” — devient une métaphore pour toute une génération africaine décidée à s’affirmer par la création.

Une production ambitieuse

A Brand New Man n’a rien d’un disque d’amateur. Les arrangements témoignent d’une influence directe du son de Detroit et de Philadelphie, les capitales du funk orchestral des seventies.
Certains musiciens de studio auraient collaboré avec des proches de Fred Wesley, tromboniste légendaire de James Brown et du Parliament-Funkadelic.
Le disque mélange des chœurs gospel, des basses profondes et une section de cuivres éclatante.
Le reste de l’album oscille entre compositions originales (Fly Me Back to Love, Keep on Singing) et explorations instrumentales. Son esthétique rappelle à la fois les productions Motown et les expérimentations de Manu Dibango, autre pionnier du groove afro-européen.

Un disque rare et symbolique

Mais à sa sortie, A Brand New Man connaîtra un destin discret. Mais son aura grandira avec le temps.
Jamais réédité, il est aujourd’hui considéré comme une pépite du funk africain des années 1970, recherchée par les collectionneurs.
Les exemplaires vinyles se négocient à plusieurs centaines d’euros sur les plateformes spécialisées.

Au-delà de sa rareté, l’album fascine par sa charge symbolique.
Il illustre un moment où la musique africaine s’ouvrait au monde, non pas pour l’imiter, mais pour y inscrire sa propre voix.

Et dans cette démarche, la reprise de Gonna Fly Now apparaît comme un geste presque politique : celui d’un jeune Africain s’appropriant l’hymne d’un héros américain pour chanter, à sa manière, la même foi dans la réussite et le courage.

Et dans cette démarche, la reprise de Gonna Fly Now apparaît comme un geste presque politique : celui d’un jeune Africain s’appropriant l’hymne d’un héros américain pour chanter, à sa manière, la même foi dans la réussite et le courage.
Réécouter A Brand New Man aujourd’hui, c’est redécouvrir un pan oublié de l’histoire du funk.
C’est aussi mesurer à quel point la musique, à la fin des années 1970, fut un espace de rencontre entre les continents.
L’album d’Alain Bongo n’est pas un simple exercice de style : c’est un dialogue sonore entre Philadelphie et Libreville, entre Hollywood et l’Afrique.
Une œuvre à la fois sincère, ambitieuse et profondément ancrée dans l’esprit d’une époque où la modernité se chantait en rythme et en espoir.

En 1977, Alain Bongo chantait le courage de Rocky Balboa.
Trente-deux ans plus tard, en 2009, il deviendra président du Gabon…

Mais ça, c’est une autre histoire.