Gabon 2023 – Observations sur la démarche politique d’Innocent Bemvone Be Nze !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Il y a quelques mois, l’opinion publique gabonaise prenait connaissance de la déclaration de candidature à l’élection du président de la République du Gabon d’un certain Innocent F. Bemvone Be Nze, parfait inconnu au bataillon jusqu’alors. La démarche politique de cet ancien étudiant de l’UOB, né à Ovan dans l’Ogoué-Ivindo et aujourd’hui installé aux États-Unis d’Amérique, n’avait pas manqué de susciter interrogations. En effet, le théâtre politique gabonais est souvent l’objet de ce type d’approche consistant à (...)
Il y a quelques mois, l’opinion publique gabonaise prenait connaissance de la déclaration de candidature à l’élection du président de la République du Gabon d’un certain Innocent F. Bemvone Be Nze, parfait inconnu au bataillon jusqu’alors. La démarche politique de cet ancien étudiant de l’UOB, né à Ovan dans l’Ogoué-Ivindo et aujourd’hui installé aux États-Unis d’Amérique, n’avait pas manqué de susciter interrogations. En effet, le théâtre politique gabonais est souvent l’objet de ce type d’approche consistant à se déclarer candidat à partir de l’étranger. Il faut dire que, dans ce pays profondément structuré par la conscience de n’être qu’une périphérie, il n’est pas inhabile stratégiquement de parler à partir des centres de pouvoir que sont les pays occidentaux. Cela a encore de l’effet aujourd’hui. Bref. Si certaines démarches similaires ont pu avoir un succès relatif jadis, d’autres en revanche se sont révélées être de simples prestidigitations à telle enseigne qu’aujourd’hui, lorsqu’une voix politique s’élève en obéissant à ce schéma, on ne peut s’empêcher de camper dans une forme de scepticisme, c’est-à-dire une attitude consistant à suspendre son jugement. Depuis cette déclaration, certains points d’ombre se dissipent progressivement, et ce, notamment grâce à l’exposition des idées qui sous-tendent cette candidature. C’est en considération de cela que ces petites observations trouvent leur justification.
Volontarisme, naïveté ou courage politique ?
De prime abord, il faut saluer le refus du paternalisme qui semble marquer cet acte politique. Car, effet, la politique gabonaise nous a habitués à des formes de « « respect des anciens » qui se confondent trop souvent avec une sorte de tutorat. À partir d’une position citoyenne d’observateur engagé, il va sans dire que les logiques de caporalisation de la jeunesse et des femmes, lesquelles constituent pourtant la majorité de la population, sont néfastes pour toute velléité d’émancipation. Jean-Marc Ekoh, faut-il le rappeler, fut bien âgé de vingt-huit ans lorsqu’il fut élu à l’Assemblée territoriale du Gabon en mars 1957. À cet égard, la démarche d’Innocent F. Bemvone Be Nze a au moins le mérite de rompre avec une contagion générale du « syndrome de Peter Pan politique » qui condamne l’essentiel de la population dans des organisations périphériques et infantilisantes. L’Aufklärung (Les Lumières), nous explique Kant, renvoie à la sortie d’une condition de minorité dont le sujet humain est lui-même responsable. La condition de minorité désigne ici l’incapacité du sujet à se servir de sa raison sans la direction d’autrui. Sortir de cette éternelle enfance entretenue, en se donnant les moyens de son autonomie, constitue ainsi un enjeu de liberté. De ce point de vue, être un enfant politique ou vivre sous l’empire des « Hauts patronages » n’est pas une question d’âge, car il arrive que des vieillards/bibliothèques d‘Amadou Hampaté Ba) sombrent dans des tutorats assujettissants. De même, le mérite ici salué n’est pas une critique jeuniste contre des réflexes gérontocratiques. Il s’agit plutôt de dépasser les préjugés liés à âge.
Fortune d’une candidature deus ex machina
Parallèlement à cela, cette déclaration de candidature fait également sens dans la mesure où, stratégiquement, celle-ci permet d’initier un débat, dans le contexte d’un pays où la discussion publique des offres politiques demeure une denrée rare. Dans un entretien accordé à Gabon Media Time, le candidat déclaré lançait un appel à l’ouverture du débat afin les idées exposées suscitent, estimait-il, des regroupements fondés sur des idées partagées, idées sur la base desquelles la politique devrait être menée. Cela dit, par-delà cette éthique volontariste, le Gabon a vraisemblablement besoin de rompre avec ces pratiques politiques verticales et oligarchiques. De la moindre petite tontine de quartier et sa mère-tontine aux partis politiques et leurs chefs inamovibles, les organisations politiques et sociales sont corrompues par un hierarchisme mortifère. Ainsi la mise en place d’une plateforme populaire devient-elle une condition nécessaire ; plateforme au sein de laquelle des Gabonais, Gabonaises et amis du Gabon se rassembleraient pour déterminer collectivement les principes et le corpus d’idées qui devraient gouverner une action politique différente de celles en cours actuellement. En remettant la base populaire au centre des enjeux, les tendances messianistes et autres personnalisations des entreprises politiques se trouveraient dépourvues de leur source d’approvisionnement principale. Le dépassement de démarches abusivement verticales permettrait au peuple de faire l’expérience de la participation et d’une égalité effective, laquelle sortirait les militants et militantes d’une logique d’adhésion passive. L’inclusion du peuple dès le départ permettrait d’avoir une relation de copropriétaires, nécessaire pour la survie des mouvements politiques, car ceux-ci dépendent encore trop souvent de la volonté des seuls chefs de partis. Le désintéressement politique actuel naît, en partie, de cette absence d’identification, dans la mesure où les militants et militantes sont encore considérés comme d’aimables invités qu’imposent les circonstances électorales. En somme, c’est à partir d’une organisation populaire que devrait sortir un primus inter pares susceptible de porter la candidature et non l’inverse comme c’est trop souvent le cas ; c’est-à-dire poser la question de la question collective postérieurement à la déclaration de candidature.
Regard sur quelques propositions
Par ailleurs, une fois cette réserve exprimée, on observe que le candidat déclaré est porteur d’un certain nombre de propositions qui constituent le substrat de son programme éventuel. Entre autres, il faut noter que ses propositions sur le plan institutionnel sont assez convenues dans la mesure où elles ne remettent pas en cause l’esprit autocratique des institutions qui découle, me semble-t-il, de la fonction du « Président de la République » par exemple. S’il est vrai que la suppression du sénat, la limitation du nombre de mandat du chef de l’État et la réduction de sa durée à cinq ans ou la mise en place d’une décentralisation effective sont des mesures qui correspondent aux attentes d’une partie de l’opinion, il est cependant étonnant qu’il n’y ait pas de mesures plus audacieuses visant à repenser l’institution qu’est le Président de la République, institution génératrice de nombreux problèmes démocratiques. Être libre politiquement, si on en croit Raymond Aron, c’est aussi bien participer à la formation ou à l’exercice du pouvoir qu’être protégé contre l’arbitraire des chefs. Selon l’article 20 de la constitution d’après lequel « Le Président de la République nomme, en Conseil des ministres, aux emplois supérieurs, civils et militaires de l’Etat, en particulier, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires ainsi que les officiers supérieurs et généraux. », on se rend bien compte que de telles dispositions donnent une garantie à l’arbitraire. Une critique conséquente du « pouvoir discrétionnaire » et la pyramide des tyranneaux qu’il engendre, devraient intégrer un programme plus ambitieux sur le plan de la réforme des institutions.
Sur le plan sociétal, le candidat déclaré Innocent Bemvone Be Nze voudrait également abroger la loi décriminalisant l’homosexualité en République gabonaise. L’exposé des motifs de cette abrogation donne à croire que cela ne constitue pas un enjeu politique majeur. S’il est vrai la vraie l’adoption de cette question a exacerbé les discours homophobes au Gabon, abroger une loi décriminalisant l’homosexualité reviendrait certes à une situation juridique antérieure qui ne pourrait garantir à ce jour la liberté des personnes concernées. En outre, rouvrir ce débat ferait écran aux questions essentielles qui sont d’ordres culturelle, politique et économique. Partant de cela, si l’objectif est de préserver la liberté de la personne humaine, il semble inutile de revenir sur cette loi.
Que retenir de cette affaire ?
En guise de conclusion très provisoire, la déclaration de candidature d‘Innocent Bemvone Be Nze comporte un certain sens politique dans la mesure où elle introduit des propositions qui suscitent le débat. Par-delà les questions essentielles de la fiabilité du processus électoral, il est également utile que des idées politiques soient exposées sur la place publique. Cette discussion publique des programmes est une des conditions essentielles pour des mobilisations basées sur des idéaux. Cependant, cette amorce du débat faite par Innocent Bemvone Nze gagnerait à se démocratiser afin que cette entreprise politique sorte des messianismes qu’on a connus jusqu’alors. Dans ce contexte, démocratiser signifierait soumettre le sort de la structure qui porte cette candidature à la participation du plus grand nombre, non pas par adhésion passive à l’idée d’un « homme fort », mais par une structure politique co-conçue, au sein de laquelle ni la fortune, ni l’âge, encore moins le genre ou l’origine ne constitueraient des prétextes de distinctions. L’appel à la démocratisation de l’État gagnerait en cohérence si des réflexes démocratiques étaient intégrés au sein d’entités dont le fonctionnement interne ne dépend pourtant pas des pouvoirs publics. Il s’agit d’une démocratisation du pays à partir des marges de l’État.
Références
KANT, Immanuel. Was ist Aufklärung ? Berlinische Monatsschrift, 1784, vol. 4, p. 481-494.
ARON, Raymond. Introduction à la philosophie politique. Paris : Librairie Générale Française/Éditions de Fallois, 1952, p. 64.