« Tous pourris ! » - Des implications politiques du soupçon permanent !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Dans un entretien accordé au média allemand Deutsche Welle, l’analyste politique Jocksy Ondo-Louemba présentait une certaine perception gabonaise de l’opposition qui a aujourd’hui conquis de nombreux esprits, à savoir que l’opposition au Gabon ne serait qu’une farce. Il va sans dire que cette observation repose sur de nombreuses insuffisances d’une partie de la classe politique se revendiquant l’opposition, ses positions politiques velléitaires renforçant cette conviction. Traditionnellement, une (...)
Dans un entretien accordé au média allemand Deutsche Welle, l’analyste politique Jocksy Ondo-Louemba présentait une certaine perception gabonaise de l’opposition qui a aujourd’hui conquis de nombreux esprits, à savoir que l’opposition au Gabon ne serait qu’une farce. Il va sans dire que cette observation repose sur de nombreuses insuffisances d’une partie de la classe politique se revendiquant l’opposition, ses positions politiques velléitaires renforçant cette conviction.
Traditionnellement, une opposition politique renvoie à des positions antithétiques à celles d’un gouvernement en place. Il s’agit en effet d’une contrepartie dialectique du discours des détenteurs du pouvoir. Au-delà du minimalisme de cette définition, n’y aurait-il donc pas au Gabon des citoyens qui s’opposeraient véritablement au régime en place ? Tous les Gabonais seraient-ils devenus des partisans du pouvoir au point de conclure qu’il n’y a pas d’alternative politique ?
La nécessaire critique de l’opposition et le piège du fatalisme
Dans un contexte de crise de confiance généralisée, il n’est pas rare d’entendre l’affirmation d’après laquelle il n’y aurait pas d’opposition au Gabon ou du moins qu’elle n’est pas organisée. Cela est presque devenu un lieu commun. Tous ceux qui souscrivent à cette idée n’ont pourtant pas les mêmes motivations. D’une part, il y a les tenants du pouvoir et leurs amis idéologiques pour lesquels ce constat apporte de l’eau au moulin d’un unanimisme qui déclame péremptoirement l’absence d’alternative politique comme la conséquence d’une adhésion de tous les Gabonais au seul projet crédible à leurs yeux. D’autre part, il y a ceux qui, de bonne foi, sont travaillés par un pessimisme né du verrouillage des processus électoraux et de la « transhumance politique » qui, tel le sparadrap du capitaine Haddock, semble coller à la classe politique gabonaise depuis son aube. Pour les premiers, on peut estimer qu’ils sont dans leur rôle, celui de laisser croire que rien n’est possible en dehors de l’uniforme du parti unique. En revanche, pour ceux qui aspirent à la justice et l’émancipation collective des Gabonais, ce constat n’est pas seulement insuffisant. Il est problématique pour le caractère absolu de son fatalisme inavoué.
La condition d’existence de l’idée du « tous pourris »
Slavoj Zizek (2007, conférence de Boston) situe la tâche de la critique aujourd’hui dans l’explication de la manière dont les problèmes sont perçus. Ainsi, de son point de vue, il n’y a pas que des mauvaises réponses. Cela dit, il y a bien des mauvaises questions. Partant de cette idée, affirmer qu’il n’y a pas d’opposition au Gabon apparait comme une réponse contestable à une question mal posée. Cette idée d’inexistence de l’opposition politique véritable repose en effet sur des prémisses problématiques compte tenu du contexte politique.
D’une part, la supposée inexistence de l’opposition est facilitée par la prise en compte exclusive des modes d’activité reconnus institutionnellement. Il s’agit des congrès, des réunions publiques, des manifestations, des conférences de presse ou des propositions de loi d’une minorité parlementaire (ou pas) n’étant parvenue à accéder au pouvoir. D’autre part, la thèse d’une opposition absente nait également d’une analyse strictement portée sur les partis politiques et leurs leaders comme seuls acteurs, faisant ainsi ombrage à tous les autres acteurs qui contestent pourtant la politique du gouvernement en place à partir d’autres espaces et à l’aide d’autres moyens.
En plus de la lunette restrictive grâce à laquelle seuls certains modes d’actions et types d’acteurs institués sont pris en compte, l’interrogation sur l’existence d’une opposition politique sincère au Gabon apparait comme la preuve d’une assimilation manifeste d’attentes souvent oligarchiques. Il s’agit d’une hiérarchie établie entre un petit groupe de personnes au sein duquel des « guides » sont choisis pour défendre des causes, une sorte d’individus qui se détacheraient extraordinairement de leurs intérêts personnels immédiats pour embrasser l’esprit public. Ce réflexe oligarchique se manifeste au Gabon dans l’attitude qui consiste à perpétuellement déplorer l’absence de leaders. Cela n’est presque jamais relié à une déficience d’organisation populaire, par le biais de laquelle tout le monde pourrait vivre l’expérience de l’égalité politique. Cette position déresponsabilise la majorité des citoyen en les installant dans un rôle de suiveur. Comme dans la chanson de campagne électorale d’Ali Bongo en 2009 : « Apporte-nous la démocratie et on te suit ! ». Les citoyens ne sont jamais pensés comme des initiateurs, des acteurs responsables de la politique du pays. Ils sont presque toujours à la remorque. Ainsi, au lieu de s’organiser collectivement pour faire pression sur les candidats déclarés dans le but de dégager un programme, de nombreux Gabonais se mettent en retrait pour attendre que des leaders de partis dits d’opposition désignent un candidat qu’ils se contenteront de suivre. Or, l’émergence d’un leadership politique de l’opposition devrait, semble-t-il, être entendu comme la conséquence d’une organisation collective rigoureusement populaire de laquelle sortiraient des primi inter pares, des mandataires dont l’action politique serait définie par une base populaire à laquelle reviendrait le pouvoir. Cette prééminence de la base populaire permettrait d’éviter ces leaders qui ont souvent considéré la base militante comme un instrument au service de leurs propres personnes. Ainsi ont-ils souvent engagé leurs partis à participer à des conclaves politiques ou dans des entrées au gouvernement qu’ils combattaient sans consultation préalable de ceux au nom de qui ils prétendent parler.
Du « tous pourris » au fatalisme
Il ne s’agit nullement de soustraire les oppositions gabonaises d’un nécessaire examen critique. Mais une critique conséquente devrait pouvoir être plus nuancée en prenant en compte la pluralité des offres politiques qui s’opposent aux régimes en place. Par-delà le nombre d’acteurs politiques historiquement issus du PDG et se réclamant aujourd’hui de l’opposition, la limite de cette affirmation se situe d’abord dans son caractère absolu. Il n’est pas juste en effet de loger tous les opposants à la même enseigne, l’idée du « tous pourris », car tout ce qui est excessif perd sa signifiance, pour reprendre cette sagesse attribuée à Talleyrand. Dans les oppositions, il y a des sensibilités diverses. Les biographies politiques de Jean-Victor Mouang Mbading et de Luc Bengone Nsi ne sont pas celles de Raymond Ndong Sima et Pierre Claver Maganga-Moussavou.
Aussi faudrait-il peut-être rappeler que la notion d’opposition politique est constitutive de la raison d’être de la démocratie, même quand celle-ci demeure un horizon comme c’est le cas du Gabon. Parce que les individus composant une communauté humaine ne peuvent pas toujours être d’accord sur les constats et les résolutions dès les problèmes auxquels fait face la société, des procédés démocratiques se sont révélés être des outils pertinents pour organiser la prise de décision dans un esprit public qui garantit l’expression politique démocratique et pluraliste. Pour des démocrates, affirmer qu’il n’y a pas d’opposition au Gabon, c’est promouvoir malgré eux l’idée qu’un pays sans opposition est possible et imaginable. Même du temps du parti unique, pendant lequel il n’y avait pourtant légalement pas d’opposition, le Mouvement de Redressement National (MORENA) vit pourtant le jour au cœur de ces années de monopartisme. Historiquement, il y a toujours eu des oppositions même dans les pires régimes. On peut regretter que celles-ci ne soient pas toujours idéalement organisées. On ne peut toutefois pas affirmer qu’il n’en existe pas.