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« Pour moi quoi… Makaya » - Notes sur la fabrique du marginalisé docile !
Publié le : 14 juin 2023 à 14h17min | Mis à jour : Août 2023
« Pour moi quoi… Makaya » - Notes sur la fabrique du marginalisé docile !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

« Pour moi quoi… Makaya » - Notes sur la fabrique du marginalisé docile !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

(…)Quand Makaya a faim, Mamadou a son ragoût. Quel heureux ! On n’y peut rien. Ainsi va la vie.
L’espace politique gabonais parait toujours peu sensible à l’idée de saisir certains positionnements sous l’angle du mode de production de la vie matérielle. Si certains acteurs l’évoquent sous le terme prosaïque de « politique du ventre », cette critique limite trop souvent ces changements de pied à la volonté d’un sujet à la conscience transparente à elle-même, la dimension intersubjective voire objective (...)


(…)Quand Makaya a faim,
Mamadou a son ragoût.
Quel heureux !
On n’y peut rien.
Ainsi va la vie. [1]

L’espace politique gabonais parait toujours peu sensible à l’idée de saisir certains positionnements sous l’angle du mode de production de la vie matérielle. Si certains acteurs l’évoquent sous le terme prosaïque de « politique du ventre », cette critique limite trop souvent ces changements de pied à la volonté d’un sujet à la conscience transparente à elle-même, la dimension intersubjective voire objective du phénomène demeurant inexpliquée.

Lutte des classes et épreuve du Bantoustan !
Dans un discours intitulé « Let’s talk about Bantustans », Steve Biko (1978, p. 86) soutenait, de manière concise et convaincante, l’impossibilité d’une émancipation véritable par le biais des Bantoustans. Pour ce combattant de la liberté, il s’agissait de cocons tribaux qui n’étaient rien d’autre que des camps de concentration sophistiqués où les Noirs étaient autorisés à "souffrir en paix". Les Noirs, estimait-il, devaient constamment faire pression sur les dirigeants des bantoustans pour qu’ils sortent du cul-de-sac politique que le système de domination avait créé pour eux. Pour éviter toute confusion, il faut en effet préciser que l’usage de cette notion ici ne renvoie pas à la brutalité de l’apartheid. Elle est sans commune mesure avec la réalité des Matitis. Cela dit, sa fonction d’écran face à certaines situations permet de saisir le refoulement, la liquidation de possibles lectures de classes. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’Éboussi Boulaga (2011, p. 224) parle justement de « Bantoustans post-apartheid », car les Bantoustans n’ont finalement pas disparu avec le racialisme colonial qui leur a donné la forme totalitaire qui semble aujourd’hui la caractériser. Toute proportion gardée, dans la géopolitique à la sauce gabonaise, la figure catégorique de « doyen politique » s’apparente étrangement à ces « leaders de Bantoustan » dont parlait Steve Biko. Dans leur fonction objective, ils couvrent des possibilités de lutte sociale collective par une épaisse fumée de d’identitarisme bigot.
Notons que, dans une certaine mesure, cet état des choses fait suite à une question qui a longtemps marqué la réflexion politique sur les sociétés africaines postcoloniales : Les classes sociales existent-elles dans les sociétés africaines ? Plusieurs analystes ont assez justement montré que la classe sociale n’était pas une variable majeure dans la mesure où celle-ci n’est que très peu importante dans la structuration des choix politiques. Ainsi, entre autres raisons qui complexifient l’appropriation effective d’une lecture de classes, Georges Balandier (1965, p. 139-140) relevait-il par exemple la résurgences des antagonismes précoloniaux et la faiblesse des idéologies, démontrant ainsi le caractère composite des justifications des orientations politiques. Cela dit, cette juste description des différentes motivations à l’effet de mobilisation politique peut parfois passer pour la négation absolue de toute idée de classes sociales, se fondant sur une certaine idée essentialiste de « nature » des sociétés. C’est la conclusion à laquelle semble parvenir l’historien Wilson-André Ndombet (2009, p. 40) quand il pose les questions rhétoriques suivantes :

tous les Gabonais, quelles que fussent leurs nationalités, étaient d’origine paysanne. Comment aurait-il pu accumuler ou épargner ces capitaux, n’ayant investi nulle part ou, tout simplement, n’héritant pas dans leurs usages anciens d’outils analogues aux pratiques économiques nouvellement importées ?

Ne trouvant pas de rapport d’identité avec le concept de classe tel que canoniquement défini par Marx et Engels, son intérêt politique pourrait vite devenir inenvisageable sur le terrain africain. Or, si on inscrit cette notion dans la dynamique sociale née de l’insertion des sociétés africaines dans l’économie du monde moderne, on s’aperçoit que certains acteurs constituent effectivement des groupes d’intérêts socio-économiques qui font classe, pour ainsi dire. Bien que ceux-ci n’aient pas toujours conscience de cette commune identité sociale objective qui pourrait les instituer en groupes d’intérêts politiques, ce concept permet néanmoins de rendre compte de la recherche d’hégémonie (Bayart [1989] 2006, p. 224). En posant la question de savoir s’il s’agissait d’un socialisme africain ou d’une Afrique socialiste, la contribution d’Abdul Rahman Mohamed Babu (1981) donnera un peu de positivité aux métaphysiques identitaires qui faisaient de tous les africains « authentiques » des socialistes par essence. Cette critique est importante en ce sens qu’elle réhabilite l’historicité des comportements sociaux, en les inscrivant dans une temporalité propre. Pour cette raison, la solidarité - exemple souvent cité - doit être mise en rapport avec l’évolution du système productif des sociétés africaines.
En raison de cette dynamique des identités sociales, l’essentialisation de tous les Gabonais à leurs origines paysannes empêche de saisir les déterminations sociales (conscientes ou pas) qui meuvent les différents acteurs aujourd’hui. Parce que, après tout, les « Mamadou » et les « Makaya » sembleraient annihiler leurs divergences d’intérêts sur le terrain de la commune origine ethno-régionale, diraient certains adeptes de la « paix des cimetières ». Au regard des injustices couvertes par ce voile tribal, il est de la responsabilité des politiques d’expliciter ces enjeux idéologiques et non se complaire de ces nouvelles « lois de la nature » sociales.

L’invention du « Makaya » docile
Ce camouflage ethno-régional d’intérêts objectivement conflictuels a pour effet de consolider le statut quo. Des liens ethniques, des communes habitudes ancestrales supposées, une langue commune ou des rituels partagés rendent l’injustice supportable aux yeux du « Makaya » pour lequel les attributs matériels et le prestige social de son « Mamadou », « ce grand quelqu’un », « son frère du village », le remplissent de fierté, fierté pourtant chaque jour de plus en plus ingrate. Car elle ne parvient toujours pas à fournir de l’eau potable ou à donner accès à des soins de santé. En attendant que le bien-être ruissèle par irradiation ethnique, la classe dominante met en scène l’opinion du « Makaya », la théâtralise pour mieux indiquer le chemin de la subordination. Le billet Pour moi quoi Makaya du journal L’Union est sans doute l’expression la plus emblématique de cette imposture. « En s’arrogeant le droit de parler au nom de l’homme de la rue », comme le souligne Arthur Sabi Djaboudi (cité par Luc Ngowet 2001, p. 71), cette satire préfabrique une impertinence autorisée qui, par ses silences, instrumentalise la critique pour imprimer le code du discours politique conforme à l’ordre établi. Ainsi relaie-t-il l’opinion politique fictive d’un Makaya attentiste, presque sans aspiration politique, qui n’est qu’une projection du peuple tel que la classe dominante le souhaite, en fait résultat d’une sorte paranoïa des dirigeants. En mars 2016, un partisan du régime en place au Gabon, universitaire par ailleurs, publiait une tribune intitulée « Makaya, homme invisible, pour qui voteras-tu ? ». Derrière les promesses de ce titre, cette sortie se singularise par son paternalisme. Il s’agit en effet du regard d’un « Mamadou » paniqué, inquiété par l’idée que le « Makaya » sorte de la grande nuit de l’attentisme politique dans lequel la classe dominante l’a longtemps enfermé. Ainsi, à partir cet extérieur social, se produit une description prescriptive d’une façon d’être « Makaya », un devoir-être docile qu’on proclame péremptoirement être sa nature. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le romantisme qui marque le portrait que cette tribune fait du « Makaya » :

L’homme invisible ici, c’est le citoyen gabonais lambda classé depuis longtemps sous l’appellation de Makaya : lui dont la préoccupation fondamentale est d’aller à l’usine, au bureau, cultiver son champ et faire sa chasse ou du commerce, élever ses enfants, bref mener tranquillement sa vie, et aller aux urnes le moment venu. (…)

Le « Makaya » est ici essentialisé par l’activité qui assure sa survie. L’auteur l’exclut de la discussion publique relative à ses propres conditions d’existence. Pour celui-ci, le « Makaya » serait visiblement un individu qui ne se pose pas de question et se contente de faire des devoirs « tranquillement » à telle enseigne, est-on tenté de croire, que cet étrange individu vote sans débattre. Estimant que les discours des oppositions sont du fait de minorités bavardes et actives, l’adhésion de Makaya à ceux-ci est systématiquement mise en doute, lui assignant une nature naïve :

Son naturel le porte à se méfier des logiques de la démesure, à se tenir généralement à distance du grossier ; estimant a juste titre, que ceux-ci tranchent avec « l’esprit fin » tout logiquement prêté aux gouvernants et a ceux qui l’ont été et/ou aspirent à le redevenir.

La cause partisane est entendue. Elle saute aux yeux. Cependant, on n’a suffisamment de recul à présent pour se rendre compte de l’inconsistance de cette herméneutique divinatoire sur la supposée essence du « Makaya ». Les résultats de l’élection du président république en 2016 apporteront un impitoyable démenti à ces autosuggestions. Cette posture promeut l’irresponsabilité politique par une hiérarchie qui fait passer la classe dirigeante pour des illuminés, justifiant des inégalités entre citoyens au nom du « naturel ». Ce discours a néanmoins un effet chez certains « Makaya ». Beaucoup d’entre eux renoncent à l’idée d’émancipation collective, lui préférant ce que Fanon (1961, p. 471) a appelé « la possibilité de multiplier les affranchis ».

Subjectivisme, appropriation et assujettissement
Le grief libéral fait aux pauvres des mapanes a fini par produire une culpabilisation qui individualise les responsabilités, sans jamais les articuler à l’extension sociale du phénomène. À la misère des Makaya, les Mamadou répondent : « l’État ne peut pas tout faire. Il faut créer des start-ups ». Or, ce même État a tout fait pour la classe dirigeante aux affaires depuis son aube coloniale. Par un népotisme atavique, les tenants de l’appareil d’État se reproduisent au sens strict, pas besoin de détours conceptuels aussi sophistiqués que « Les héritiers » de Bourdieu et Passeron (1964). Au Gabon, le père porte affectivement sa descendance aux affaires publiques. Des hautes fonctions publiques aux officiers dans l’armée en passant par les directoires de partis politiques et, bien plus flagrant encore, la présidence de la république, le gouvernement, autres corps constitués, etc., le népotisme se généralise. Mis en accusation, certains pauvres Makaya finissent par croire à l’idée du Mamadou self-made-man. Ce dispositif a conquis « l’immense continent des croyances, des opinions et des superstitions, tout comme la nature qui est offerte à ceux qui en connaissent les lois jusque-là cachées et qui, par-là, en deviennent les maîtres et les possesseurs » (Eboussi Boulaga 1999 dans un article sur « L’intellectuel exotique  »).
Dans ce contexte, comment envisager une quelconque organisation pour réclamer la justice sociale ? Cette interrogation débouche souvent sur une négation de sa condition. La société gabonaise est maillée par cet état d’esprit : celui du refus du double tarif (misère et humiliation). Alors, on se bricole un confort matériel parfois éphémère et souvent imaginaire. On se console avec des chiffres fantaisistes qui n’ont aucun effet sur la réalité de la vie des gens. Les réseaux sociaux célèbrent des indicateurs économiques alors que l’essentiel de la population de Libreville habite des bidonvilles et des personnes âgés crèvent de faim en milieu rural. Ces dernières années, l’humoriste Yaya Vitch a véritablement incarné ce questionnement de l’expérience de l’humiliation du pauvre, notamment dans ses répliques les plus incisives : « ça c’est la pauvreté atteignant son paroxysme. (…) Je n’aime pas l’esprit de pauvreté ». La fiction n’étant jamais loin de la réalité, expliquant à sa base électorale les motivations de son inconstance politique, un ministre gabonais avait estimé ne pas vouloir mourir Okoukoute (pauvre en langue fang). On veut en effet conjurer la condition miséreuse d’Okoukoute par tous les moyens. Comment contester l’intention a priori bienveillante d’une telle proposition ? Seulement, la classe dirigeante comprend parfaitement la psychose du Makaya en crise, c’est-à-dire « l’homme critique » au sens qu’Ébénézer Njoh-Mouelle (2013 :31) donne à ce terme :

Celui qui, égaré en pleine forêt, au lieu de marquer un temps d’arrêt pour essayer de se réorienter se met à courir à gauche, à droite, devant, derrière, compromet ses chances de retrouver le chemin. Non seulement il peut être définitivement perdu, mais son comportement désordonné aura d’abord fait de lui un homme malade.

Face à ces Makaya désorientés, le système de domination sélectionne quelques-uns, comme pour donner un semblant d’objectivité à ces cooptations qui maintiennent les classes populaires dans la loterie, c’est-à-dire l’attente d’un éventuel miracle. Ainsi, de nombreux Makaya suivent encore avec une attention particulière les homélies hebdomadaires des porte-paroles du gouvernant, scrutant les « mesures individuelles » dans l’espoir d’y trouver la promotion d’un « mwane ngudji ». Dans une chanson intitulée « En haut », ce phénomène n’avait pas échappé au sarcasme incisif de Donny Elwood (2001) :

Ma vie va changer. Le décret vient de tomber
Mon frère a été nommé à un poste très élevé.
La rumeur a circulé dans le quartier.
Aujourd’hui, c’est confirmé oh !

En réalité, les nominations passent désormais pour un chantage, des actes d’achat de conscience. Les cabinets de ministres en sont une illustration parfaite. Comme les exécutions publiques jadis, toute proportion gardée, les nominations des chauffeurs, aides de camp et autres conseillers visiblement utiles sont communiquées urbi et orbi dans le seul but de dissuader quiconque ose sortir du discours convenu ou agir en conscience. « muté », « renvoyé à son administration d’origine », « admis à faire valoir ses droits à la retraite » , « cumulativement avec ses fonctions de… », etc., ainsi se résume la phraséologie de la mise en garde et qui, par la même occasion, demande d’attendre son tour pour avoir sa part. Le communiqué final du conseil des ministres devient ainsi le nouveau lieu d’exécution publique des consciences gabonaises, surtout pour celles qui en attendent encore quelque chose.
Parallèlement à la foi du décret, se développe une certaine honte sur laquelle prospère le déni de la condition sociale des marginalisés majoritaires. Le 6 juillet 2021, l’Agence Française de Presse publiait sur ses réseaux sociaux un court élément vidéo intitulé « Au Gabon, des enfants travaillent dans des décharges pour survivre ». Si pour de nombreux gabonais cette nouvelle n’en était pas une, il va sans dire que la réaction du gouvernement gabonais quelques heures plus tard, à travers un Tweet de sa Ministre en charge des Affaires Sociales et des Droits des Femmes , Tweet dans lequel, précisons-le, Prisca Nlend Koho déclare que : « Depuis ce matin, une importante mission d’enquête préliminaire du Ministère des Affaires Sociales est à l’œuvre sur le site de la décharge de Mindoubé, afin de circonscrire les problématiques relatives à la présence croissante d’enfants sur le site ».
Au-delà de la curieuse promptitude avec laquelle la Ministre réagit à cette information de l’AFP, cette sortie se singularise surtout par le travestissement d’une grande question de pauvreté endémique qui frappe le Gabon pour ne devenir qu’une « problématique de présence croissante d’enfants sur le site ». Sans vouloir faire entorse à l’impérieux devoir de protéger les enfants, il nous semble toutefois que la désarticulation des questions du travail des enfants et de la pauvreté au Gabon participe de l’institution d’un silence sur la misère, de la structuration répressive de tout énoncé sur l’indigence matérielle de centaines de milliers de gens, du refoulement de toute possibilité d’inscrire à l’ordre du jour politique l’agenda des marginalisés-majoritaires du Gabon. Selon Foucault (1969 :156-157), le discours se construit et se constitue dans un système limité de présences par lequel s’opèrent des répartitions de lacunes, de vides, d’absence, de limites, de découpes, etc. Pour la question qui nous occupe, le discours est constitué par l’absence très présente de la pauvreté qui, de facto, institue une sorte de tabou dans une certaine mesure.
Cette réflexion pourrait a priori paraitre sans objet du fait de son apparente évidence, si on la lit essentiellement à l’aune des jeux politiciens qui consistent à recourir à tous subterfuges pour légitimer une action politique donnée. Or, il semble qu’il s’agit d’un phénomène beaucoup plus insidieux ; phénomène transcendant la conscience du sujet (aussi bien acteurs politiques que citoyens). En effet, l’individu pratique une certaine façon de penser, de percevoir ou d’agir dans un certain environnement social. Cet exercice constitue la base de la pensée, de la perception et de l’action ultérieures. Ces pratiques sociales constitutives d’un type spécifique d’environnement produisent des formes d’habitus, c’est-à-dire des systèmes de dispositions permanentes, structurées et structurantes. Si la pauvreté au Gabon a voix au chapitre des grandes enquêtes d’institutions internationales sous la forme de statistiques parfois réifiant la vie sociale et autres déclarations politiques en général trop impersonnelles pour en préciser la cible, il n’en demeure pas moins que la mise au point sociale (stricto sensu comme réglage de la netteté de la photographie sociale du pays) est rapidement refoulée à travers de constantes élisions de la question sociale sous diverses formes. À titre d’exemples, on pourrait prendre la position de certains collectifs d’étudiants favorables à l’augmentation des frais d’inscription à l’université, le discours sur la protection de la nature dans son rapport aux besoins quotidiens des populations locales, le montant de la caution pour être candidat à l’élection du Président de la République, le cout des logements dits sociaux, l’accès aux soins de santé, etc. Ces dispositifs structurent l’exclusion et démontrent la négation de la réalité devenue résilience socialement exterminatrice. Dans un article sur le déni et le refoulement des classes paupérisées, Xavier Bouchereau (2012) estime que :

Le refoulement des milieux populaires dans l’inconscient collectif est un moyen d’éviter le conflit que la différence de classes avive. Il permet de faire tenir dans la société les personnes issues de ces milieux sans que leurs qualités propres, nées d’une position sociale déterminée, viennent froisser les valeurs consensuelles de l’ordre établi. Quant au pauvre, il ne doit en aucun cas, par la singularité de son point de vue, par les formes décalées de son expression, venir mettre en lumière l’inadéquation pourtant flagrante entre l’Idéal humaniste et égalitaire affiché par les classes dominantes et la réalité qu’elles construisent.

À la suite de cette observation, on ne peut pas ne pas reconnaitre que de tels ressorts psychologiques peuvent très bien s’appliquer aux classes paupérisées du Gabon. L’énonciation des potentialités économique du Gabon apparait, à certains égards, comme l’expression du refoulement de sa condition de pauvre. Ce questionnement gagnerait à être porté par ceux qui aspirent à la justice sociale.

Références
Babu, A. R. (1985). African Socialism or Socialist Africa ? Harare : Zimbabwe Publishing House.
Balandier, G. (1965). Problématique des classes sociales en Afrique noire. Cahiers Internationaux de Sociologie. Vol. 38, 131-142.
Bayart, J.-F. ((1989) 2006). L’État en Afrique. La politique du ventre. Paris : Éditions Fayard.
Biko, S. (1978). I Write What I Like. A Selection of his Writings. Edimburg : Heinemann.
Bouchereau, X. (2012). "Prolongation... Refoulement des classes populaires et déni de la pauvreté" In X. Bouchereau, Les non-dits du travail social. Pratiques, polémiques, éthique. Toulouse : Eres, p. 193.
Éboussi-Boulaga, F. ((1999) 2014). Lignes de résistance. Yaoundé : Clé / Kindle-Version.
Éboussi-Boulaga, F. (2011). L’affaire de la philosophie africaine. Au-dela des querelles. Paris : KARTHALA / Édtions Terroirs.
Énongoué, F. (n.d.). Makaya, homme invisible, pour qui voteras-tu ? L’Union du 25 Mars 2016, p. 4.
Fanon, F. (1961). Les damnés de la terre. In : Fanon Oeuvre. Paris : La Découverte.
Foucault, M.  (1969). L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard.
Ndombet, W.-A. (2009). Renouveau démocratique et pouvoir au Gabon (1990-1993). Paris : KARTHALA.
Ngowet, L. (2001). Petites miseres et grand silence. Culture et élites au Gabon. Libreville : Éditions Raponda-Walker / Éditions Ndzé.
Njoh-Mouelle, É. ((1970) 2013). De la médiocrité á l’excellence. Essai sur la signification humaine du développement. Yaoundé : Clé / Kindle-Version.