Gabon : Remarques béotiennes sur l’activisme de la Cour constitutionnelle !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
La cour constitutionnelle aurait-elle dorénavant compétence à se prononcer sur tout ce qui bouge dans l’espace public gabonais ? A-t-elle encore seulement conscience des limites constitutionnelles de son action ? Quid des acteurs qui accompagnent cette position surplombante, générant quelques tendances absolutistes ? La cour constitutionnelle s’est singularisée ces dernières années par une extension considérable du champ de ce qu’il conviendrait d’appeler son activisme. Jadis plutôt portée sur des (...)
La cour constitutionnelle aurait-elle dorénavant compétence à se prononcer sur tout ce qui bouge dans l’espace public gabonais ? A-t-elle encore seulement conscience des limites constitutionnelles de son action ? Quid des acteurs qui accompagnent cette position surplombante, générant quelques tendances absolutistes ?
La cour constitutionnelle s’est singularisée ces dernières années par une extension considérable du champ de ce qu’il conviendrait d’appeler son activisme. Jadis plutôt portée sur des questions électorales, quelques rares fois sur les rapports entre les institutions et sur l’appréciation de la constitutionnalité des lois, elle semble ne plus douter de rien, s’enlisant malgré elle dans des certitudes qui la condamnent à ne voir, dans les griefs qui lui sont faits, que des signes de l’ignorance. Il faut noter que le procès en ignorance, qui par ailleurs justifie un ton hibernothérapeutique appelé pédagogie, est en effet une forme d’exercice du pouvoir. Bref. Pour s’en convaincre, il suffirait d’observer la diversité de questions pour lesquelles son appréciation a été sollicitée ces dernières années, et ce, sans qu’elle n’interroge sa compétence :
Gabonreview 16.01.2023 « Loi de finances 2023 : le Copil citoyen veut des éclaircissements »
Gabon Media Time 03.01.2023 « Établissement des CNI : Lambert-Noël Matha sommé de s’expliquer devant la Cour constitutionnelle »
Gabonreview 22.06.2022 « Transparence électorale : L’opposition fait ses propositions à la Cour constitutionnelle »
Gabonreview 29.12.2022 « Gabon : Débat sur le CGE, la carte d’identité et la liste électorale à la Cour constitutionnelle »
La Libreville 07.09.2022 « Gabon : Dans la bataille pour le leadership de l’UN, Paulette Missambo perd la première manche face à Paul-Marie Gondjout devant la Cour constitutionnelle »
RFI 03.01.2022 « Gabon : la Cour constitutionnelle annule la passe sanitaire obligatoire pour les lieux publics »
Jeune Afrique 01.05.2018 « Gabon : la Cour constitutionnelle dissout l’Assemblée »
Ces quelques titres de presse montrent la disparité de thèmes traités ou soumis à la compétence de la cour constitutionnelle. En effet, le spectre de son action va de simples questions d’établissement de documents administratifs à l’arbitrage de conflits internes à des partis politiques, sans oublier l’annulation des mesures gouvernementales ou encore ses gloses incessantes sur la transparence électorale qui apparaissent plus comme le témoignage d’une mauvaise conscience que celui d’une prise de conscience. Pourtant, même s’il faut rester sur un niveau formel, on note que cette dispersion à tendance ubiquitaire prend quelques libertés avec les missions constitutionnelles dévolues à cette institution. Quelles sont ses missions ?
L’article 83 de la Constitution fixe les tâches de la cour constitutionnelle ainsi qu’il suit :
« La Cour Constitutionnelle est la plus Haute Juridiction de 1’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections. Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions et de 1’activité des Pouvoirs Publics. »
De cette disposition, il faut relever l’extension du concept « matière constitutionnelle » dans sa traduction pratique par le juge constitutionnel au Gabon. Ainsi observe-t-on une sorte de constitutionnalisation à l’envi de tous les contentieux qui ont lieu dans l’espace public. Sinon, comment explique-t-on que des litiges relatifs à l’établissement de documents administratifs ne soient pas portés devant le conseil d’État, « la plus Haute Juridiction de l’Etat en matière Administrative » selon l’article 74 de la constitution ? Quel reproche fait-on à une loi de finance qui ne soit pas du champ des compétences de la cour des comptes, « la plus Haute Juridiction en matière de Contrôle des finances publiques » si on en croit l’article 76 de la loi fondamentale ? En démocratie, une mission essentielle est en général confiée au parlement, celle qui consiste à autoriser ou non le pouvoir exécutif à percevoir les impôts des citoyens et à déterminer la limite des dépenses afin de mener des politiques publiques. En se prononçant sur des griefs d’inopportunité de certaines affectations budgétaires, comme cela pourrait être le cas des montants prévus pour l’organisation des élections prochaines, la cour constitutionnelle court le risque de préempter la dimension éminemment politique de cet instrument de gouvernement. S’il va sans dire qu’elle est en droit d’examiner la régularité de l’élaboration de la loi de finance (délai, procédure d’amendement, vote, etc.), elle n’a pas vocation à interférer sur des choix politiques. C’est peut-être en cela que le Copil citoyen devrait affiner sa requête en annulation. En fondant son argumentaire sur l’inopportunité de certaines allocations, le requérant invite, dans une certaine mesure, le juge constitutionnel à apprécier la loi de finance tel que devrait le faire le législateur.
Parce que le pouvoir, en l’occurrence ici l’autorité judicaire, est une relation particulière entre acteurs sociaux, il serait réducteur d’imputer cette tendance à la seule volonté absolutiste des juges constitutionnels. Au-delà des principes, les acteurs politiques et la société civile semblent consentir de fait à la position surplombante de cette institution par une constitutionnalisation excessive du moindre petit litige. Sans doute faut-il y voir la conscience d’un lieu de pouvoir effectif, reléguant ainsi la cour des comptes et le conseil d’État à des rôles purement ornementaux. Depuis la vive protestation de Pierre Mamboundou au sortir des élections du Président de la République de 2005, quand il affirmait : « (…) aujourd’hui, je vous dénie la qualité de membre de la cour constitutionnelle et je vous dénie la qualité de statuer en ce moment tant que l’autorité de nomination ne m’aura pas répondu. Ainsi je suis à l’extérieur parce que vous n’êtes pas en droit de juger », son interrogation préjudicielle ne s’est presque plus jamais véritablement posée. Quand il ne s’agit pas de redouter ses facéties en périodes électorales en hésitant à y introduire des recours, la cour constitutionnelle fait office de simple réceptacle de requêtes de tous genres, parmi lesquelles prospèrent quelques rares causes qui par ailleurs n’ont pas vertu à troubler les tenants du pouvoir, mais plutôt à servir de répit, une sorte de catharsis populaire face à la rudesse de la domination qui peut par moment rendre indocile.
Exiger le respect de la forme quand la question querellée est au fond légitime se révèle particulièrement difficile. Comment être dans la nuance sans être soupçonné de vouloir noyauter des vrais problèmes dans un formalisme juridique sans grand intérêt ? C’est ce souci pragmatique du succès de la chose débattue, surtout de l’effectivité et la force exécutoire d’une décision constitutionnelle qui, assurément, mènent les requérants à faire l’économie du conseil d’État et de la cour des comptes, considérant à juste titre la portée très cosmétique de ceux-ci dans les enjeux réels des institutions au Gabon. Loin de toute idée de reddition, cette stratégie qui permet de parler directement à ceux qui structurent le pouvoir. Cela dit, elle participe aussi à la concentration des fonctions à l’intérieur du pouvoir judiciaire, voire au-delà de celui-ci, en s’abstenant presque systématiquement d’interroger la compétence de la cour de la constitutionnelle à propos de certaines affaires.