Glenn Patrick Moundende – une irrépressible quête de justice !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Il avait 34 ans, habitait Ndolou, département situé à l’ouest de la province de la Ngounié. Il s’appelait Glenn Patrick Moundende, un jeune Gabonais qui aurait pu être de votre famille, de notre famille. Il y a une semaine encore, son nom n’évoquait rien de particulier pour le Gabon. Car c’était un homme ordinaire, comme ce pays sait en produire par tonnes depuis plusieurs décennies. Cette masse de gens perpétuellement assignée à la catégorie infantilisante de « jeune », catégorie dont la congruence (...)
Il avait 34 ans, habitait Ndolou, département situé à l’ouest de la province de la Ngounié. Il s’appelait Glenn Patrick Moundende, un jeune Gabonais qui aurait pu être de votre famille, de notre famille. Il y a une semaine encore, son nom n’évoquait rien de particulier pour le Gabon. Car c’était un homme ordinaire, comme ce pays sait en produire par tonnes depuis plusieurs décennies. Cette masse de gens perpétuellement assignée à la catégorie infantilisante de « jeune », catégorie dont la congruence avec l’exclusion politique et sociale est presque devenue un trait essentiel, ces êtres humains condamnés à l’aphonie quand, par perfide bienveillance, leur destin ne parle pas le langage du tutorat. Il ne s’agissait visiblement pas d’un de ces jeunes fictifs dont parlent avec emphase les médias publics gabonais. Il n’aurait certainement pas enfilé le gilet jaune fluo pour acclamer béatement la potence mise en scène le mois dernier sur la place de Nkok, le nouveau village Potemkine d’une diversification économique qui n’a jamais dépassé le stade de l’incantation. Glenn Patrick Moundende était de ces jeunes qui n’existent que dans l’anonymat de ces innombrables statistiques qui consacrent la négation des inégalités sociales, impassiblement aveugles à la réalité d’un quotidien toujours plus ingrat au fil des ans, ces sophistications abstraites qui promeuvent des modèles, celles qui colorient les tableaux du fameux Pole National pour la Promotion de l’Emploi, invitant à supporter l’indigence matérielle de la majorité. Il était assurément de ces honnêtes gens du monde paysan gabonais qui résistent aux promesse d’une vie en ville. Il aurait pu faire comme la majorité de Gabonais qui, confrontée à la rudesse des conditions sociales, décide de quitter son terroir pour chercher une meilleure vie ailleurs, pour s’accrocher à portière d’un taxi-bus es qualité boy-chauffeur, louer quatre murs de planches disposées sous un revêtement d’aluminium qui servirait de toit dans l’indécrottable décor de la crasse des matiti que même les assauts répétés des saisons de pluie ne sont toujours pas parvenus à toiletter. Quoi de plus normal ! Comment faire grief à quelqu’un d’aspirer à un mieux-être ? Glenn Patrick Moundende n’a cependant pas fait l’impasse d’une analyse rigoureuse du sort fait à l’homme dans la périphérie pétrolifère de Ndolou, celle-ci s’énonçant comme une métonymie du Gabon aujourd’hui, analyse implacable à partir de laquelle la fuite vers les bidonvilles de Libreville devenait pour lui un renoncement, un abandon de toutes ces petites gens, ces sans-grades qui n’ont pas toujours l’infortune nécessaire pour échapper à la tyrannie de la misère paysanne au Gabon. Il a résolument tourné le dos au sauve-qui-peut individualiste et égoïste, faisant le choix d’une option exigeante, celle de changer la situation sociale de son terroir désormais asservi aux logiques prédatrices d’une économie interminablement coloniale. Ce fondement collectif de l’émancipation n’a vraisemblablement pas trouvé d’oreilles attentives à la détresse sociale et à la réalité de la dépossession que vivent de nombreux Gabonais.
Aux sources de la radicalité
Assis a même le sol dans une forêt de son pays, ses deux bras ceinturant ses genoux joints, des yeux marqués par le besoin de sommeil, mais le regard vif qui devance une élocution sereine qui dit sa lutte opiniâtre pour la justice sociale, pour rendre intelligible le choix de la revendication radicale face à une omerta méprisante, pour assurer que l’intégrité des personnes retenues ne serait pas attentée, c’est ainsi que son visage a surgi sur nos smartphones. Tout le monde (ou presque) a vu ces images à travers les réseaux sociaux grâce auxquels la censure devient contournable. En pareille circonstance, il faut peut-être donner la parole au témoin radical :
« (…) Les entreprises mangent cet argent. Elles ne veulent pas que l’on revendique ce qui nous revient de droit. Ces entreprises ont signé des partenariats avec le département dans le cadre social. Elles devaient accompagner les riverains, les populations qu’elles ont trouvées, à travers des projets tels que l’éducation, la santé, le travail, le financement des bourses, etc.
Malheureusement, nous ne voyons pas cela. Les politiques viennent, implantent leurs entreprises qui payent les gens quand elles veulent, cinq ou six mois plus tard. Tout ça, les gens doivent l’accepter. Quelqu’un te fait travailler pendant six mois sans salaire, tu dois l’applaudir. Et quand il vient te payer, il ne te donne qu’un seul mois de salaire sur six qu’il te doit.
Ce sont les hommes politique de notre département. Leurs entreprises sont venues supprimer le peu que nous avions. Nous n’avons plus de dispensaire, plus d’école et la zone dans laquelle nous vivons, toutes les rivières sont polluées. Nous n’avons pas d’accompagnements, pas d’eau, aucune pompe hydraulique, pas d’électricité. Pourtant, elles (les entreprises) s’alimentent à travers le gaz depuis leur station et nous sommes à quelques kilomètres d’elles. C’est vraiment regrettable alors que bon nombre de personnes essaient d’avoir une vision large !
Tout récemment, j’ai appelé le préfet de Mandji (Ndolou) pour lui expliquer la situation, pour voir comment on devait aborder le sujet, mais le préfet n’a même pas voulu m’écouter. Il m’a juste menacé et a raccroché. Ça a été la même chose pour le commandant de brigade. Tout ça parce qu’ils sont sous la houlette des hommes politiques, à cause des pots de vin.
(…) Et s’ils veulent m’abattre, je vais tomber devant les couleurs nationales, devant la population de Mandji… »
En dépit de l’évidence du fondement social de ce mode d’action radicale, l’État gabonais a recouru à ses instruments de répression typiquement coloniaux. Quoiqu’il en coute, il s’agit pour celui-ci de préserver un ordre qui consacre les injustices sociales sur lesquelles se constitue la richesse insolente d’une minorité.
Une bourgeoisie autoritaire
Après plusieurs jours de mutisme, les inconditionnels gardiens de l’ordre rétrograde du « libéralisme autoritaire » - grâce auquel les ravages des dogmes de l’économie coloniale apparaissent comme des lois de la nature - ont finalement communiqué sur ce que le procureur de la république (près le Tribunal de Première Instance de Mouila) a, par euphémisme, appelé « les événements de Mandji ». Sans doute Jacques Derrida n’avait-il pas tort de penser que l’usage du vocable « événement » renvoie avant tout à la désignation d’un phénomène qu’on sait pas encore nommer. La déclaration du parquet donnait cette impression d’incapacité à saisir ce qui est arrivé. Mais c’est par cette sortie médiatique que l’opinion gabonaise a officiellement entendu ce qu’elle savait déjà, à savoir que la revendication radicale de Glenn Patrick Moundende s’était soldée par ce qui s’apparente à une exécution extrajudiciaire. Un malheur n’arrivant jamais seul, l’opprobre de l’agression sexuelle s’est ajoutée au réquisitoire conçu pour les besoins de la cause : délégitimer toute tentative d’explicitation de la démarche du révolté de Mandji.
En plus de cette volonté manifeste d’ignorer la revendication politique de Glenn Patrick Moundende, l’exposé des faits du procureur pose quelques problèmes de cohérence. Selon sa déclaration officielle, la dame enlevée le lendemain du 19 juillet (donc le 20 juillet) tôt le matin sur le site de Perenco aurait été retenue pendant plus de deux jours. Comment cela est-il possible étant donné qu’il affirme en même temps qu’elle a été libérée le 20 juillet au soir (donc le même jour au soir) ? S’agit-il d’une erreur anodine ou d’une volonté de charger la barque ?
Le procureur de la République a également affirmé avoir constamment informé la hiérarchie depuis le 18 juillet. Comment expliquer qu’il n’y ait pas eu de communication officielle en vue d’alerter les riverains de ce qu’il y avait un danger dans cette partie du territoire ? Une communication officielle conséquente aurait peut-être permis d’éviter la deuxième prise d’otage. N’ayant plus d’otages et probablement plus d’armes, pourquoi n’avoir pas accordé plus de temps à la négociation ?
On peut également noter que Glenn Patrick Moundende a exposé ses motivations dans des petites vidéos disponibles sur internet depuis plusieurs jours. Alors qu’une enquête a été ouverte, pourquoi les motivations du ravisseur ne sont-elles pas évoquées officiellement ? Tant de questions qui renforcent la suspicion sur la réelle volonté d’établir la vérité pour la justice.
Dans une communication pour le compte du Parti UDIS, Jo Moubassango a parlé de « forcené ». Le porte-parole du gouvernement a quant à lui critiqué ceux qui veulent saisir la question dans toute sa complexité en choisissant de n’y retenir que le grief d’agression sexuelle. Si la qualification de Jo Moubassango est assurément hâtive, la prise de position péremptoire du gouvernement semble plus problématique car elle ne tient pas compte de ce qu’aucune décision n’a été rendue jusqu’à ce jour. Dans un livre intitulé Droits de la défense en matière pénale au Gabon (L’Harmattan, 2012), Francis Nkéa posait la question de savoir si « Cet idéal de justice est-il réellement une préoccupation du système répressif gabonais ? ». Au regard des communications officielles ci-dessus, comment ne pas penser que ces droits de la défense sont purement ornementaux ? Les phraséologies creuses qui jonchent les condamnations de principe sont une perte de temps, un formalisme qui fait obstacle à l’établissement de la vérité, vérité sans laquelle la justice demeurerait inenvisageable. (À suivre)