« Chassons le PDG » ou « mise à la retraite d’Ali Bongo » ? – Transition vers le quiproquo permanent !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Après une semaine de grande euphorie, semaine durant laquelle de nombreux Gabonais ont fait la dure expérience du « besoin de croire » en quelque chose de nouveau, les masques livrent progressivement leurs secrets. D’abord, une charte de la transition dont l’esprit se distingue difficilement des tares du régime déchu. On a pu, dès le départ, relever que le Président de la transition avait en effet prêté serment sur la base d’une charte non édictée. De ce fait, celle-ci ne pouvait pas faire l’objet d’une (...)
Après une semaine de grande euphorie, semaine durant laquelle de nombreux Gabonais ont fait la dure expérience du « besoin de croire » en quelque chose de nouveau, les masques livrent progressivement leurs secrets. D’abord, une charte de la transition dont l’esprit se distingue difficilement des tares du régime déchu. On a pu, dès le départ, relever que le Président de la transition avait en effet prêté serment sur la base d’une charte non édictée. De ce fait, celle-ci ne pouvait pas faire l’objet d’une quelconque appréciation critique. Sans doute est-il utile ici de rappeler que la volonté du peuple gabonais, volonté au nom de laquelle la fin du régime d’Ali Bongo a été prononcée, doit reposer sur le principe de justification publique des normes (Habermas). Parce que cette charte porte sur notre vie publique, elle ne saurait faire l’objet de secrets dans sa rédaction. Dans une certaine mesure, cette pratique rappelle étrangement les évolutions législatives impopulaires qui ont cristallisé une majorité de Gabonais contre les pratiques législatives du PDG. Ce dont le Gabon semble avoir besoin aujourd’hui, c’est d’une implication effective du citoyen longtemps exclu en raison d’un dévoiement du sens de la représentation.
L’esprit problématique de la charte
Ensuite, par-delà le mode de conception de la charte, il y a également son fond problématique. Au regard du contenu de la charte, même si le CTRI a beaucoup parlé de concertation, la réalité est qu’il s’agit plutôt de consultations qui n’ont pas vraiment eu un effet sur l’esprit de cette charte. Quel est-il ? Pour l’instant, la charte se présente comme une sorte d’ouverture pour mieux exclure de nombreux acteurs politiques. Sur quoi peut bien reposer l’inéligibilité de tous ces acteurs qui participeront à la transition ? Quel est l’objectif visé par cette exclusion ? Cette disposition de la charte écarte l’essentiel de ceux qui participent à la conception des nouvelles institutions, mais demeure curieusement libérale sur l’éligibilité possible du président de la transition. Il est évident que ce dilemme cornélien imposé aux acteurs de l’opposition dévoilera nécessairement les intentions des uns et des autres, laissant ainsi perdurer les pratiques autoritaires de contrôle d’une opposition véritable aspirant à la démocratie. En démocratie, comme l’affirme Cornelius Castoriadis, c’est le peuple qui s’institue comme pouvoir. Au regard des critères définis pour nommer les membres du parlement de transition, il va sans dire qu’ils font la part aux partis politiques légalement reconnus. Or, la reconnaissance des partis politiques au Gabon s’est toujours faite sur l’arbitraire du régime déchu. Avoir un parti politique ne signifie pas nécessairement une représentativité effective sur le plan national. Cette réalité est connue de tous. Les trois dernières élections du Président de la République ont montré qu’il y avait bien une vie politique en dehors des partis politiques reconnus : André Mba Obame en 2009, Jean Ping en 2016 et Albert Ondo Ossa en 2023 ont tous été des candidats indépendants. Il appartient au peuple d’élire le citoyen qui assumera la fonction de Président de la République. Partant de cela, restreindre ses possibilités de choix en raison de la participation d’un citoyen à l’élaboration des instituions de son pays (ou dans le cas des futures parlementaires, pour non-appartenance à ces catégories prédéfinies) n’est pas du tout un progrès.
Le sens problématique de la restauration
Pour comprendre l’ambition des militaires, on aurait peut-être dû s’interroger sur l’absence du terme « démocratie » et la présence massive du syntagme « restauration des instituions » dans le sigle CTRI. La « restauration des institutions » suppose en effet un retour à un ordre ancien. Dans le cas du Gabon, cet ordre ancien se rapporte à une démocratie de façade, à un régime autoritaire. Sauf erreur, pas grand monde au Gabon ne souscrit à cette vision irénique de la gouvernance du PDG avant Ali Bongo. Des rassemblements de l’opposition à la prestation de serment du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, les foules scandaient : « Chassons le PDG ». Pour celles-ci, il ne s’agissait pas seulement d’écarter Ali Bongo, son épouse, son fils et les copains de de son fils, mais de sanctionner le PDG de manière générale. Telle semblait etre la motivation essentielle pour laquelle une majorité de Gabonais a salué l’intervention des forces de défense de sécurité ces derniers jours.
C’est donc dans ce contexte que le choix des hommes et des femmes devient une question importante pour vérifier si cette aspiration populaire est prise en compte par le CTRI. Ou bien au contraire, l’action de CTRI et la volonté populaire de mettre fin au régime d’Ali Bongo ne sont qu’une alliance contingente qu’a favorisé le rejet massif d’Ali Bongo. Donner sens à l’argument fondamental des forces de défense et de sécurité, argument d’après lequel celles-ci seraient intervenues dans l’intérêt du peuple gabonais longtemps réprimé par les régimes du PDG, aurait pu signifier une distance vis-à-vis des soutiens d’Ali Bongo. Si le CTRI a pris le soin de rencontrer de nombreux acteurs politiques de tous bords, l’apparence d’équilibre n’aura pas mis long feu. Les nominations de ces derniers jours n’ont absolument rien de révolutionnaires. De nombreux Gabonais s’en voudront d’avoir imprudemment appliqué les termes « libération » a ce qui se passe actuellement au Gabon. Les progressistes convaincus doivent à présent avoir le courage d’assumer ce désaccord politique. Car il n’y a pas de progrès possible sans justice. La justice présuppose des sanctions quand cela est nécessaire. Quel sens donner à ces nominations de PDGistes dont l’inefficience de l’action a mis le Gabon où il se trouve aujourd’hui ?