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Dépasser la diversion xénophobe : le Gabon pris au piège d’un faux patriotisme
Publié le : 28 avril 2025 à 16h29min | Mis à jour : il y a 2 semaines
Dépasser la diversion xénophobe : le Gabon pris au piège d’un faux patriotisme. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Dépasser la diversion xénophobe : le Gabon pris au piège d’un faux patriotisme. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Au Gabon, comme ailleurs en Afrique, la xénophobie se dissimule souvent sous le masque du patriotisme. On dresse des murs contre le petit commerçant nigérian, on traque le chauffeur camerounais, on stigmatise le vulcanisateur béninois, on moque le boutiquier malien et l’artisan sénégalais — tout cela au nom de la préséance des nationaux. Pendant ce temps, les multinationales étrangères, véritables prédatrices des ressources nationales, prospèrent en toute impunité, protégées par les élites (…)


Au Gabon, comme ailleurs en Afrique, la xénophobie se dissimule souvent sous le masque du patriotisme. On dresse des murs contre le petit commerçant nigérian, on traque le chauffeur camerounais, on stigmatise le vulcanisateur béninois, on moque le boutiquier malien et l’artisan sénégalais — tout cela au nom de la préséance des nationaux. Pendant ce temps, les multinationales étrangères, véritables prédatrices des ressources nationales, prospèrent en toute impunité, protégées par les élites mêmes qui dénoncent l’« envahisseur africain ».

Dévoiler l’ironie : zèle contre les faibles, silence devant les puissants

Malgré ses ressources stratégiques — bois, manganèse, pétrole —, le Gabon demeure dépossédé de ses richesses. Ses secteurs clés sont sous contrôle multinational, avec la complicité active d’un État héritier de l’idéologie coloniale de la « mise en valeur ».
Quelle ironie : on persécute les petits commerçants africains, mais on se tait devant Comilog, Perenco, Olam et consorts. Pourquoi la colère populaire vise-t-elle les faibles, et non les véritables prédateurs ? Pourquoi ne réclame-t-on pas la renégociation des contrats miniers, une fiscalité équitable, une souveraineté économique réelle ?
Ce protectionnisme à géométrie variable — brutal envers les faibles, docile envers les puissants — n’exprime aucune souveraineté authentique. Il n’est qu’une diversion cynique : détourner la colère du peuple de ses véritables cibles — l’accaparement des richesses, la trahison des intérêts nationaux, l’enracinement d’un néocolonialisme économique masqué derrière un discours identitaire hypocrite. Ce discours romantise la misère rurale en prônant un « retour aux sources », tout en vivant sous les tropiques à l’occidentale, jouissant des privilèges matériels et culturels hérités du colonialisme. La contradiction entre le discours et les pratiques est éclatante.

Comprendre les racines historiques du problème

Depuis la colonisation, le peuple gabonais subit un appauvrissement structurel : traites, spoliations, dépendances organisées.
Le recours à la main-d’œuvre étrangère n’est pas une « invasion », mais le résultat historique de la désarticulation des économies locales sous l’effet de la domination coloniale. C’est par la violence que les sociétés gabonaises furent intégrées au tourbillon de l’économie-monde.
Lors du boom pétrolier des années 1970, au lieu de bâtir une économie productive et souveraine, l’État gabonais a choisi la facilité : distribuer une rente volatile, abandonner l’agriculture, sacrifier l’industrie locale. L’administration est devenue un instrument de clientélisme ; le secteur marchand, un espace laissé aux travailleurs étrangers.
Ce n’est pas la « main-d’œuvre étrangère » qui a déstructuré l’économie gabonaise, mais bien la trahison systématique de l’intérêt national par une classe dirigeante sans vision, sans colonne vertébrale, sans foi dans son propre peuple.
Aujourd’hui encore, face à l’effondrement des revenus pétroliers et à l’explosion du chômage, les élites refusent toute remise en cause. Elles ressuscitent les vieilles rengaines xénophobes — « quotas », « préférence nationale », « souveraineté » — pour esquiver les vraies questions. Pourquoi le peuple est-il exclu des leviers de production ? Pourquoi l’État n’a-t-il pas bâti une économie endogène et durable ?

Nommer l’imposture

Un des mensonges les plus commodes consiste à faire de l’étranger africain le bouc émissaire des échecs économiques. Ce discours de rejet, qui ressurgit à chaque crise, s’inscrit dans un nationalisme rentier, simpliste et aveugle. Il masque l’incurie et la compromission derrière des accusations faciles. Il faut le dire sans détour : ce ne sont pas les travailleurs étrangers qui ruinent le Gabon, mais un système néocolonial entretenu par une élite prédatrice, inféodée aux intérêts extérieurs.
Dans toute économie soucieuse de son peuple, trois questions fondamentales devraient guider l’action : (1) Quels sont les besoins prioritaires ? (2) Comment produire localement ? (3) Comment répartir équitablement les richesses ? Or, dans une économie extravertie comme celle du Gabon, ces questions sont dictées de l’extérieur. Le pays est administré indirectement par les bailleurs de fonds, véritables souverains du financement public. La bourgeoisie locale, simple courroie de transmission, privilégie une production tournée vers l’export brut et une consommation dépendante de l’importation.
La préservation de ce modèle apparaît comme la condition du maintien au pouvoir des dirigeants africains. La littérature économique est formelle : chaque tonne de matière première exportée sans transformation signifie la perte de milliers d’emplois.
La véritable source de la paupérisation n’est donc pas la présence des travailleurs africains, mais cette dépendance structurelle, imposée et reproduite.

Refonder l’avenir : un patriotisme de justice et de solidarité

Dénoncer la xénophobie ne suffit pas. Il faut en déconstruire les racines, en dévoiler les mécanismes, en révéler la lâcheté. Car la « préférence nationale » n’est souvent qu’un vernis moral recouvrant une profonde injustice sociale. Détourner la colère contre les travailleurs étrangers relève de la diversion, non du patriotisme.
Le salut du Gabon ne viendra pas du repli sur soi, mais d’une refondation du contrat social, économique et politique par la souveraineté populaire.
Il s’agit de rompre avec l’extractivisme néocolonial, de reprendre le contrôle de nos ressources, et de bâtir notre renaissance sur la coopération régionale et la solidarité panafricaine. Le véritable patriotisme n’est pas celui qui rejette l’autre, mais celui qui combat l’injustice. Il valorise le travail, la terre, le savoir. Il construit des ponts entre les peuples opprimés, au lieu d’ériger des murs. Ce patriotisme humaniste doit affronter les élites corrompues, d’où qu’elles viennent, plutôt que d’accabler les plus faibles. Le temps est venu de briser le mirage pétrolier, de renverser les idoles d’un nationalisme étriqué, et de rendre au Gabon son sens émancipateur — celui d’un espace de dignité partagée.
Cette lutte dépasse les frontières du Gabon : elle est celle de toute l’Afrique. Car face à une oppression commune, nous formons une communauté de destin. Aucun peuple ne s’en sortira seul.