Brice Oligui Nguema  / Histoire
Pourquoi Brice Oligui Nguema ne célèbre pas le 18 février 1964
Publié le : 2 septembre 2025 à 10h14min | Mis à jour : il y a 1 semaine
Pourquoi Brice Oligui Nguema ne célèbre pas le 18 février 1964 . Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Pourquoi Brice Oligui Nguema ne célèbre pas le 18 février 1964 . Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent

Le Gabon s’est retrouvé deux fois, à près de soixante ans d’écart, face au même choc : un président renversé par ses militaires. Mais la comparaison s’arrête là. Le 18 février 1964, de jeunes officiers rêvaient de sauver le pluralisme. Le 30 août 2023, des généraux du sérail ont installé une transition vite transformée en pouvoir personnel. Entre l’élan romantique et la confiscation, deux héritages s’affrontent.


Dans les premières années qui suivirent l’indépendance, l’atmosphère se tendait. Léon Mba, figure fondatrice mais autoritaire, venait de dissoudre l’Assemblée. Son projet de parti unique autour du Bloc Démocratique Gabonais inquiétait. Beaucoup redoutaient de voir le pays basculer dans un système verrouillé.
C’est dans ce climat qu’éclata, dans la nuit du 17 au 18 février 1964, la première mutinerie. Trois jeunes officiers, Jacques Mombo, Valère Essone et Daniel Mbene, passèrent à l’action. Ils n’étaient pas seuls : l’administrateur Jean-Marc Ekoh, intellectuel proche de l’opposition, fut l’un des inspirateurs du geste. À Libreville, les points stratégiques tombèrent rapidement. Léon Mba, arrêté, fut envoyé à Ndjolé mais n’y arrivera jamais.
Leur décision au matin surprit : ils confièrent immédiatement le pouvoir à Jean-Hilaire Aubame, ancien député au palais Bourbon homme politique très respecté. Les militaires se retiraient pour laisser place aux civils. C’était un choix net, presque naïf : ils voulaient rouvrir le jeu démocratique que Léon Mba avait décidé de fermer et de confisquer.

Contre coup d’Etat

Tout bascula en vingt-quatre heures. Le 19 février, les parachutistes français du 2ᵉ RPC, commandés par le général Kergaravat, atterrissaient à Libreville. Ordre de mission : rétablir Léon Mba "s’il est toujours vivant".

À Paris, le contexte de guerre froide dictait la prudence. À Brazzaville, l’abbé Youlou venait de tomber et l’ombre soviétique inquiétait. À Léopoldville, Joseph-Désiré Mobutu consolidait son pouvoir sous le regard bienveillant de la CIA. Dans ce paysage mouvant, Libreville ne pouvait devenir une zone grise. Charles de Gaulle, conseillé par Pierre Messmer et surtout Jacques Foccart, choisit la fermeté

À Paris, le contexte de guerre froide dictait la prudence. À Brazzaville, l’abbé Youlou venait de tomber et l’ombre soviétique inquiétait. À Léopoldville, Joseph-Désiré Mobutu consolidait son pouvoir sous le regard bienveillant de la CIA. Dans ce paysage mouvant, Libreville ne pouvait devenir une zone grise. Charles de Gaulle, conseillé par Pierre Messmer et surtout Jacques Foccart, choisit la fermeté.
En quelques heures, tout était joué. Aubame et Ekoh furent arrêtés, les officiers jugés, lourdement condamnés. De Gaulle, plus tard, confiera ses doutes. Il songea même à rappeler Aubame, mais Foccart le dissuada. “Un homme qui sort de prison garde toujours une rancune tenace”, lâcha-t-il. Ce mot suffit à enterrer la possibilité d’un compromis.

2023, le retour du sérail

Le 30 août 2023, le scénario était différent. La victoire électorale d’Ali Bongo venait d’etre annoncée quand la Garde républicaine, aux ordres du général Brice Oligui Nguema, fit irruption dans le jeu politique gabonais. Mais contrairement à 1964, le coup ne fut pas le fait de jeunes officiers animés d’idéaux. Il fut mené par des généraux issus du cœur même du régime.
Brice Oligui Nguema prit immédiatement la tête de l’État. Aucun civil ne fut appelé pour diriger le pays comme en 1964. Il s’autoproclama président de la transition et cumula l’ensemble des leviers. Le discours officiel évoquait la “mauvaise gouvernance”, mais derrière les formules se dessinait un projet plus clair : conserver le pouvoir, au nom de l’ordre et de la Garde Républicaine issue du coup d’état de 1964 pour...empêcher qu’ils aient lieu !

Une transition verrouillée

La Constitution adoptée en 2024 donne la mesure du basculement. L’article 43 permet au président de nommer seul à tous les postes civils et militaires. L’article 47 l’autorise à renvoyer Premier ministre et gouvernement à sa guise. L’article 51 le place à la tête des armées, sans contrepoids. Le Parlement n’a qu’une fonction consultative. La justice reste sous tutelle.
Sous couvert de transition, le pays s’est doté d’une présidence hypertrophiée, taillée sur mesure pour un seul homme. La promesse de “restaurer les institutions” a accouché d’un pouvoir hautement autocratique.

Un silence révélateur

Le contraste avec 1964 est trop criant. Là, de jeunes officiers avaient, au risque de tout perdre (et ils ont tout perdu), confié l’État à des civils. Ici, un général du sérail s’est choisi lui-même. Le premier coup d’État portait un souffle de rupture. Le second a prolongé l’ordre existant sous une autre figure en réalité bien plus hideuse.
Voilà pourquoi, en 2024, la date du 18 février n’a pas été rappelée alors qu’elle aurait du l’etre. Ce silence en dit long : la mémoire d’Aubame, d’Ekoh et des jeunes officiers gêne, parce qu’elle rappelle qu’un autre Gabon avait été possible.

Deux lectures de l’histoire

Le Gabon garde ainsi deux coups d’État comme deux miroirs. Le 18 février 1964, souffle patriotique vite brisé par la logique de la guerre froide. Le 30 août 2023, opération interne devenue autocratie constitutionnalisée.
Entre les deux, un écart abyssal. Le 18 février 1964, le rêve d’une démocratie balbutiante. Le 30 aout 2023, la confiscation assumée. Deux dates, deux visages. Et une mémoire qui, aujourd’hui encore, reste profondément disputée...