Lettre ouverte aux Gabonaises et Gabonais !. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Cher(e)s compatriotes, Cher(e)s ami(e)s du Gabon, Mesdames, Messieurs, Du haut de nos certitudes, nous avons jugé, souvent de façon anachronique, nos prédécesseurs qui, hier avec les armes qui étaient les leurs, ont lutté contre le régime colonial, puis néocolonial. Par souci de pureté morale, nos traumatismes du passé nous ont fait répandre le soupçon de corruption sur toutes les initiatives politiques. Sans aucun ménagement, même quand elles étaient de bonne foi, nous n’avons pas toujours su prendre (...)
Cher(e)s compatriotes,
Cher(e)s ami(e)s du Gabon,
Mesdames, Messieurs,
Du haut de nos certitudes, nous avons jugé, souvent de façon anachronique, nos prédécesseurs qui, hier avec les armes qui étaient les leurs, ont lutté contre le régime colonial, puis néocolonial.
Par souci de pureté morale, nos traumatismes du passé nous ont fait répandre le soupçon de corruption sur toutes les initiatives politiques. Sans aucun ménagement, même quand elles étaient de bonne foi, nous n’avons pas toujours su prendre notre part de responsabilité.
Renforcés par l’élection aristocratique qu’offrent des parcours d’instruction que certains d’entre nous ont appris à jalousement chérir, nous avons ri du sacre des cancres, ces hâbleurs qui ne doutent jamais de rien et dont le tapage partisan estampille la barque de la misère gabonaise d’un attribut nouveau, celui de la double indigence morale et intellectuelle.
Englués dans de coupables attentes d’un emploi ici ou là, de nombreux Gabonais et Gabonaises ont fait le pari du sauve-qui-peut, nous réduisant à quémander pitance auprès de ceux dont le projet politique ultime est de fabriquer la docilité quoiqu’il en coute.
Dans la discrétion de nos échanges privés, nous avons doctement montré la vacuité du bavardage du PDG depuis presqu’une soixantaine d’années. Nous sommes souvent tombés d’accord sur le fait que le PDG a toujours été, est et sera toujours une voie sans issue. Pis, il va sans dire que celui-ci est nécessairement un boomerang quand on veut bien apprécier les conséquences néfastes de son action politique à l’aune de l’émancipation collective des enfants du Gabon.
Cher(e)s compatriotes
Cher(e)s ami(e)s du Gabon,
Mesdames, Messieurs,
Le vendredi 8 mars 2024, les autorités de la transition rendaient public le Décret N° 0115/PT-PR/MRI portant convocation et organisation du Dialogue National Inclusif. Aussi bien sur ses aspects purement organisationnels (comme le mode de désignation des différents participants) que sur l’objet des débats et les objectifs assignés à ceux-ci, l’esprit de ce texte escamote manifestement les questions fondamentales quand il ne les noie pas dans des sujets secondaires. En effet, ce moment essentiel de la transition ne saurait se substituer à des congrès de partis politiques ou, disons-le, à une sorte de congrès de parti unique. En portant l’attention sur des sujets qui relèvent des programmes politiques, nous courons le risque de ne pas traiter les problèmes de fond.
Comment des personnes aussi avisées ne parviennent-elles pas à distinguer la politique entendue comme programme de gouvernement et la notion de politique saisie comme une discussion portant sur les règles de la légitimité d’exercice du pouvoir ? En général, la première notion est déterminée par des congrès de partis politiques. La seconde acception renvoie à l’organisation démocratique des pouvoirs publics, organisation démocratique grâce à laquelle le pluralisme politique devient envisageable. Par son caractère non-dialectique et à cause de l’arbitraire marquant des interlocuteurs choisis pour les besoins d’une cause inavouable, ce dialogue national est objectivement exclusif. Par la faiblesse méthodologique de son organisation, il ressemble plus à un congrès de part unique qu’a des assises libres et pluralistes.
Au moment où sont trahies, lentement mais surement, les promesses d’un dialogue véritablement inclusif, qui aurait pu être ce moment populaire durant lequel les Gabonais et Gabonaises auraient pu s’instituer comme pouvoir afin d’échanger sans tabou sur la nature de nos institutions, nous constatons, pour le regretter, la confiscation du droit à la participation. En effet, l’opacité manifeste sur l’organisation unilatérale du dialogue national inclusif ne renforce pas la confiance vis-à-vis des institutions en place. Les sorties médiatiques de la ministre en charge de la réforme des institutions, rappelant à l’envi la nouvelle dette morale, le nouveau mot d’ordre : « les militaires nous ont sauvés & les militaires nous ont libérés », elle n’est pas de nature à rassurer. Voulant, semble-t-il, échanger le droit civique de contrôle du pouvoir politique contre une sorte de gratitude avilissante au nom de la libération, la ministre en charge de la réforme des institutions montre une rigidité certaine qui rappelle certains fantômes de notre histoire récente. Durant ce dialogue national dit « inclusif », les conférences de presse organisées n’ont fait que révéler la connivence des différents commissaires désignés par le régime de transition.
Face à cet immobilisme manifeste, face aux inerties, face à cette volonté de contrôler ce qui doit être dit, nous n’avons pas d’autres choix que d’organiser un espace public libre dans les marges des institutions et de l’officialité. Car, il ne doit nullement être question de chercher à « multiplier les affranchis » en quémandant individuellement des places pour s’exprimer sur les règles devant organiser notre vie publique. Les nouvelles technologies aidant, il n’y a pas d’autorisation à demander pour se rassembler et discuter de manière structurée, mais libre des problèmes du Gabon aujourd’hui.
Pour ce faire, ce manifeste soutient l’idée d’Assises populaires hors les murs. Il s’agit de mettre en place un espace pluraliste et surtout critique, à partir duquel seront abordées des questions culturelles, politiques, économiques, sociétales, etc. En effet, depuis plusieurs décennies, mais ces dernières années de façon encore plusieurs grossière, l’espace public gabonais semble s‘être singularisé par une incapacité structurelle à donner une certaine intelligibilité aux questions qui meuvent la société. Par son émiettement, son appétence pour le monologue, il peine à être ce réceptacle idéal à partir duquel se posent des questions de sens, des déterminations essentielles.
Comme l’enthousiasme qui a suivi l’ère dite de l’ouverture démocratique pour sa pluralité de titres de presse et de partis politiques, presque tous les observateurs se sont réjouis de l’ouverture numérique grâce aux potentialités critiques qu’elle incarne face aux discours sans relief souvent proposés par des médias d’État gabonais. Depuis lors, le refuge numérique a multiplié des espaces de pureté idéologique pour lesquels la confrontation de positions devient difficilement envisageable. La pluralité se présente ainsi comme une juxtaposition de cohérences pures.
Pour toutes ces raisons, l’idée de ces assises nationales pour la démocratie au Gabon repose sur la conviction d’après laquelle la mise en place d’un espace public critique constitue un principe structurel nécessaire pour garantir la liberté et le contrôle citoyen de l’autorité au sujet de questions d’intérêt général.
Les enjeux de telles assises seraient éminemment politiques dans la mesure où c’est par la politique (entendue comme discours sur la légitimité d’exercer le pouvoir qui organise notre vie la collective) qu’on se reconnecte à l’ensemble des problèmes auxquels fait face notre pays, bien au-delà de la fortune qu’a pu connaitre la notion de « politique » dans notre époque. Les domaines de la culture, l’économie, de l’éducation, de la santé, des infrastructures, etc. ne sont pas indépendants de la politique. Ainsi s’occuper de politique, c’est attaquer le problème à la racine.
Pour cette raison, deux articulations essentielles pourraient constituer le substrat de ces échanges populaires. Dans un premier temps, conformément à la structure des contributions proposée par le Premier Ministre Ndong Sima en Octobre 2023, il serait question d’un ensemble d’exposées (15 minutes au maximum) sur les causes profondes des problèmes du Gabon aujourd’hui. Peut-être est-il utile de rappeler qu’il s’agit d’un échange entre citoyens et citoyennes. Si la connaissance technique de certaines questions peut aider à éclairer les différentes opinions, celle-ci n’aurait nullement préséance sur la libre expression de tous, l’objectif étant de faire participer le maximum de personnes. Quelle que soit la qualification, ce serait la qualité de citoyen qui prévaudrait afin de nous garantir une certaine égalité d’accès à l’espace public. Aussi faut-il préciser que ces exposées seraient suivis d’une discussion d’environ 20 minutes.
À la suite des différents exposés sur les causes du problème gabonais, le deuxième moment de ces assises populaires serait consacré aux exposés relatifs aux propositions de solutions des problèmes posés, ainsi qu’une lecture corrective de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991. Le préambule et l’ensemble des 120 articles devraient être examinés minutieusement et revus. Au terme de cette lecture, l’assemblée se prononcerait sur le destin qu’il faudra donner aux résultats de ces assises populaires.
Cher(e)s compatriotes,
Cher(e)s ami(e)s du Gabon,
Mesdames, Messieurs,
L’histoire des hommes nous enseigne que le vécu temporel des peuples est conditionné par la capacité de ceux-ci à organiser leurs actions collectives. Une organisation rigoureuse dans les marges d’une officialité qui exclut la majorité, telle est l’ambition civique de ce modeste propos. Pour le dire comme Fanon, il s’agit pour nous de saisir, dans cette relative opacité gabonaise, la mission historique qui est la nôtre. Cette tâche ne s’accomplit pas en demandant la permission, en négociant le droit antalgique à ne pas trop souffrir, en espérant la pitié ou un miraculeux sursaut de bonne foi de la part de ceux qui exercent le pouvoir. Il s’agit plutôt de se constituer comme pouvoir véritablement populaire, car seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir.